mardi 29 janvier 2008

Epilogue

J’ai 60 ans maintenant. Je me suis marié sur le tard. J’ai eu deux beaux enfants. J’ai monté une affaire dans une petite ville de province. Pas l’empire de mon père mais quelque chose qui marche bien. Je l’ai appelé les entreprises Shadow de l’identité que Darkness m’a donné avec tous les papiers qui vont avec.

Je ne sais pourquoi, je n’avais rien à craindre et je le savais mais il n’était pas encore temps que je révèle la vérité et c’était une occasion de démarrer une toute nouvelle existence.

Je gagne ma vie. De quoi en profiter de ce qui s’offre à moi mais pas à outrance. Il paraît que j’ai de la chance.

Ma femme dit que je devrais jouer au loto. Elle, elle joue. Elle prend plaisir à ce petit moment d’angoisse au niveau des résultats où elle supplie la chance de lui donner les bons numéros. Je ne connais pas ça. Je suis sans doute trop pragmatique. Je lui dis que c’est trop tard pour la chance, qu’elle devrait aller sur place et encore, les billes tombent trop vite et il y en a trop. Je lui dis aussi que supplier ne sert à rien, qu’elle doit s’imposer. Elle ne comprend pas. Peut-être n’a-t-elle pas ça dans le sang. Parfois je me dis qu’elle n’est vraiment pas futée puis je me dis que je commence à ressembler à Knowledge et ça me fait peur. Je l’ai revue. Elle a vieilli elle aussi parce que comme elle dit, elle n’est pas douée. Elle est toujours seule, dans le même appartement trop grand. Elle s’est offerte une villa à la campagne aussi et elle est triste car elle se sent nulle. Comme toujours. C’est à elle que j’ai dis la vérité. Elle a juste dit « ho ». Ca expliquait pourquoi du jour au lendemain ses employeurs avaient paru disparaître dans la nature. Après, qu’aurait-elle pu dire ? Je venais de lui apprendre qu’ils se faisaient tous manipuler depuis des années par celui qu’ils méprisaient parce qu’il n’avait aucun pouvoir. C’était faux. Il en avait peu mais il savait convaincre et personne ne se méfiait de lui. Il faut le temps de le diriger. Elle a fait sa vie. Elle a monté une petite entreprise qui s’est pété la gueule car la chance ne suffit pas. Il faut aussi une part de travail et une bonne dose d’intelligence alors elle bosse dans une petite entreprise de décoration et le week-end elle joue à la roulette au casino. Pour mettre du beurre dans les épinards comme elle dit.

J’ai parfois revu Lolita. Dans l’ombre d’un arbre ou le reflet d’un étang. Elle sait que je l’aime et je sais qu’elle m’aime aussi mais comme un petit garçon sur lequel elle veillera toujours. Elle est restée jeune, peut-être juste une ride au coin des lèvres. Elle a toujours été forte pour maîtriser le temps.

J’ai appris à mon fils à faire des réussites en lui expliquant que l’important, c’était de mélanger et de se fier à son intuition. Il n’a pas compris. Ce n’était pas important. Moi, ce qui me plait, c’est de le voir s’épanouir et mordre la vie à pleine dent. Mon plus grand sentiment de fierté, c’est quand il m’a battu au basquet pour la première fois. J’ai senti qu’il devenait un homme.

Un jour je l’ai croisé dans la rue au bras d’une belle jeune fille. Il me l’a présenté. Il était rouge et gêné. C’était la première fois. Le temps passait. J’ai serré la main de la jeune fille et quand elle a voulu la retirer, je lui ai coincé le bras et arraché un ongle avant de lui souffler à l’oreille : « fais gaffe quand t’as tes règles Constance. » Puis je lui ai montré l’ours en peluche de mon frère et je me suis mis à chantonner.

Elle est resté interloquée puis s’est mise à rire et m’a fait un clin d’œil. Elle a sorti un couteau et s’est entaillé le poignet avant de me tendre son mouchoir imbibé de sang. « J’ai confiance en toi Witches, mon lapin blanc. »

Mon fils a gueulé que nous étions fou. Alors nous sommes partis. Je l’ai empoigné par le col de sa chemise et Nous avons roulé toute la nuit. A l’aube, j’ai arrêté la voiture au bord d’une vieille ferme en ruine depuis longtemps abandonnée et nous avons marché jusqu’à un gros arbre au milieu d’un champ de maïs. J’ai déterré une boite en fer blanc. Je l’ai ouverte puis j’ai mis un tube a essai avec un bout d’ongle un de mes cheveux et une goutte de sang. Puis j’ai remplacé la boite et dis à mon fils de ne pas y toucher car ça portait malheur. Ensuite on s’est assis dans les maïs et on a parlé.

Il fera ce qu’il veut. Moi, je l’ai élevé mais sa vie lui appartient et il a le droit de savoir et je respecterai son choix. Il ne m’a pas cru. Il lui faut du temps, ça viendra.

J’ai 60 ans. Je n’ai aucun regret. Ma vie est heureuse, ma femme charmante et cultivée, je fais du sport, je m’entretiens et je ne me suis jamais senti aussi bien ans ma peau. Même si je ne porte plus mon nom, je sais qui je suis. Je suis Witches et j’en suis fier. Je suis bien maintenant. Je vais peut-être garder mes 60 ans quelques années.

Chapitre 16

Je suis retourné voir Lolita. J’ai frappé à sa porte tel un dément et elle m’a répondu. Elle avait repris des couleurs, elle était plus belle que jamais mais elle avait perdu quelque chose. Sa mélancolie peut-être. Je l’ai prise par les épaules et je l’ai obligée à me regarder en face. « Dis-moi que ce n’est pas vrai » lui ai-je demandé. Mais ce n’était pas une demande, c’était une supplication. Elle s’est détournée. « Je n’ai jamais voulu ça » m’a-t-elle dit. Elle avait raison, jamais elle ne m’avait laissé entrevoir le moindre sentiment, je m’étais monté la tête tout seul et je souffrirai seul. Un homme est sorti d’une chambre et j’ai reconnu Darkness : « Qu’est ce que tu veux Witches ? »

J’ai serré les poings. Il voulait la guerre, il l’aurait. Comme mon père, je mettrais mon pouvoir au service de ma cause : Lolita.

« Il parait qu’il y a un job pour moi par ici » que je lui ai dit. « Je pense que ça m’intéresse et je vais te pourrir la vie ». Il a commencé à marmonner quelque chose mais j’ai croisé les bras et j’ai veillé à ce que les puissances qu’il invoquait ne m’atteignent pas. J’apprenais vite. Lolita s’est mise à gémir. Elle lui a dit de partir. La victoire était proche. Dès qu’il est sorti, j’ai pris Lolita dans mes bras. J’étais comme elle, je sacrifiais ma vie pour elle, elle ne pouvait me rejeter. Pourtant, elle l’a fait. Elle s’est écartée doucement. Elle a repris pour moi son air mélancolique. Tu disais que tu voulais fuir, que tout ici te faisait horreur.

Elle n’a pas répondu de suite. Elle s’est détourné et a regardé dehors comme elle le faisait toujours comme si mon regard lui faisait mal.

« Je suis partie parce que je voulais connaître autre chose. Je ne te l’ai jamais caché. Ton père m’a offert une nouvelle vie et je l’ai saisie avec insouciance. Je ne pensais pas rester si longtemps mais je suis resté parce que j’avais une dette envers lui.

Ses yeux s’embuèrent soudain. J’étais son garde du corps. Il m’a aidé, m’a offert un toit et son amitié et je l’ai trahi, j’ai détruit sa vie et puis je l’ai laissé se faire tuer. Il ne voulait pas que tu trempes dans nos histoires et je ferais tout pour t’en empêcher, je lui dois au moins ça.

- C’est ridicule, c’est à moi de choisir la vie que je veux mener et tu n’as trahi personne.

- Sais-tu comment ta mère est morte ?

- Oui, elle est morte dans un accident de voiture quand j’avais onze ans.

- Oui. Ies Witches devaient aller à une inauguration et je devais les accompagner mais je n’en avais aucune envie. Je venais d’être embauchée et je n’ai pas osé lui dire non et, c’était mon job de protéger la famille Witches. J’étais insouciante. Je voulais juste avoir un peu de chance pour passer une soirée peinarde. Tu sais comme j’ai horreur des soirées mondaines. J’ai juste demandé à supprimer ce dîner. »

Je connaissais la fin de l’histoire. Un chauffard avait percuté la voiture de ma mère alors qu’elle revenait de son travail. Elle était morte sur le coup. Lolita se sentait responsable de la mort de ma mère. Peut-être l’était-elle en un sens. C’était uniquement pour ça qu’elle était restée. Pour la remplacer, pour veiller sur moi. Juste parce qu’elle culpabilisait. Pas parce qu’elle m’aimait.

« Je suis désolée » dit-elle. « Je suis resté parce que tu avais besoin de quelqu’un, tu étais comme mon petit garçon et je me sentais coupable. Knowledge disait toujours qu’à jouer avec le feu, ça nous retomberait dessus mais je ne la croyais pas. Et puis, j’ai recommencé pour avoir cette chambre d’hôtel et il y a eu un autre mort et j’étais paniqué mais tu t’es contenté de dire au moins comme ça on avait la chambre comme si pour toi, ce n’était rien et je me suis dit qu’un jour tu pourrais peut-être me pardonner et c’était bien mais Darkness est revenu. Et toi, tu seras toujours mon petit bonhomme, mais je ne peux plus te protéger, tu n’en a plus besoin. J’ai reculé. Je ne pouvais plus en entendre d’avantage.

Je suis parti. Je n’en ai pas voulu à Lolita, je ne la tiens pas comme responsable. Ce n’est qu’une pauvre fille, perdue, manipulée les puissances qu’elle invoquait, bien plus qu’elle ne les manipulait. Mais c’est plus que ça, je sais qu’elle n’a rien à voir là-dedans et il y aura toujours une place dans mon cœur pour elle mais nous n’étions pas du même moule. Ce n’était qu’une esclave, une petite fille incapable de prendre sa vie en main. Une fille perdue qui ne comprenait rien et j’étais un homme libre. Libre de mes choix, libre de réfléchir aussi. Toutes les pièces du puzzle se sont assemblées dans ma tête. Lolita qui s’enfuit, Lolita qui se cache chez nous. Mais tout le monde savait qu’elle était là. Une organisation gouvernementale secrète mais qui laisse Lolita fuir, juste parce qu’elle a lancé un sortilège sur un simple intermédiaire. Le seul avec qui ils ont des contacts. C’était une histoire totalement stupide digne d’un mauvais film. Ou, d’un mauvais comix. Tout prenait forme jusqu’à la conclusion ultime la photo chez Elorie. Elle m’avait semblée familière : Timothé !

Je suis parti. J’ai loué une voiture et j’ai pris l’autoroute. Je n’étais pas pressé et je n’avais plus peur. Je n’avais aucune raison d’avoir peur. Je me suis arrêté dans une aire de repos. J’ai mangé et dormi un peu. J’ai fait un détour. Parlé à quelques personnes et j’ai gagné une tarte au pomme dans l’affaire. Quand je suis arrivé sur le campus, la nuit était tombée. Le bâtiment était presque entièrement plongé dans l’obscurité. Vieille tour délabrée tout juste bonne pour la casse. Quelques rares lumières perçaient à travers d’antiques volets. Le parking était presque vide, je me garai à coté d’une Mercedes cabriolet bleu. Je savais à qui elle appartenait et je n’en fus pas surpris. C’était les vacances scolaires, la majorité des étudiants avaient déserté. Qui voudrait rester dans cette prison en dehors des cours ?

J’entrai dans le bâtiment et commençais à monter l’escalier. Une musique rock envahissait tout le premier étage mais je n’y prêtai pas attention. Je continuais à monter, pris un couloir, passai devant des douches communes aux relents d’égouts et entrai sans frapper, espérant le prendre par surprise. Je ne tenais pas à me trouver encore face à son flingue. La minuscule chambre était déserte mais toujours aussi encombrée. Un ordinateur, monstre de technologie empiétant quasiment sur un vieux lit aux couvertures élimées. Une pile de dossier du sol jusqu’au dessus du bureaux. Une deuxième aussi importante à coté. J’avais pris ça pour des cours mais, personne n’en a autant. Partout sur les murs des posters géants de superman, Xmen et autres super héros de Comix. Des bandes dessinées des mêmes personnages étalés jusque sous le lit et un reste de pizza froide. Ca crevait les yeux, mais souvent on oublie de regarder juste devant soi et la vérité est si pathétique qu’on préfère imaginer autre chose. C’est l’imagination qui compte disait Constance, pas la vérité. Peut-être était ce pour ça que j’étais ici. Les puissances de l’imagination, je n’arrive pas à les invoquer. Je ne les comprends pas. Peut-être est-ce pour cela qu’elles n’ont pas de prise sur moi. Peut-être tout simplement ne me comprennent-elle pas. Quoique ? Mon amour n’était-il pas un piège de l’imagination ?

Je secouai la tête. C’était encore trop douloureux pour y penser. La chasse d’eau résonna dans tout l’immeuble et il arriva. Il ouvrit et eut un geste de recul en me voyant assis sur le lit. Il regarda vers moi, puis vers le couloir, comme s’il jaugeait l’action la plus opportune entre rester et filer comme un lâche.

Je lui désignai sa braguette encore ouverte. Il tira la fermeture éclair et se décida à entrer.

« Alors comme ça, tu es le beau fils d’un grand patron d’une organisation secrète ? Et bien sur, tu vis au grand jour, servant d’intermédiaire, tandis que tes parents sont tellement paranos qu’ils ne communiquent que par email. Bien sur, ta famille a une couverture hors pair, car en cherchant à partir de ton adresse, on retrouve sans problème ton nom ainsi que celui de tes parents. Le mari de ta mère qui répare des bagnoles dans un village et pour qui c’est dur car c’est la crise et ta mère : institutrice pour les enfants du village. Beau métier. Elle se désole de ne pas te voir plus souvent, se plaint que tu n’es jamais à l’adresse de la petite maison que tu lui a donné et s’imagine que tu vis en donnant des cours à l’université. Je désignai le paquet à mes côtés. Elle te fait pleins de bisous et te transmet une tarte au pomme, faite maison.

Il soupire et s’assoie sur l’unique chaise. « Houai, c’est vrai, je ne suis qu’un intermédiaire. J’ai fait croire à Lolita que j’étais de la famille du patron pour me donner de l’importance. Avec le recul, Je crois qu’elle ne l’a jamais cru de toute façon.

« Désolé, mais l’intermédiaire qui pourrit dans une piaule à rat, c’est pas plus crédible. Allez, bas les masques »

Encore un soupir. « Oui ok, t’as peut-être raison. Y en a marre de tout ça.

On était que des gosses. Il y avait Lucas et Arthur. Ils étaient collés ensemble comme deux doigts d’une même main ils avaient bien quatorze ans et puis il y avait moi. J’avais cinq ans. Le Fouineur qu’ils m’appelaient car j’étais toujours à les espionner. N’empêche que c’est moi qui ai découvert le livre. Les autres, ils se foutaient de ma gueule. Il me prenait pour un minable. Pourtant, ils n’ont jamais réussi à le lire. Ils disaient que j’inventais, mais ce n’est pas vrai. Je pouvais vraiment comprendre ce qui était écrit. Ca se lisait comme une comptine, comme un truc pour les enfants. C’était écrit dans une langue qui n’existait pas mais je la comprenais et pourtant, j’avais cinq ans. Je ne savais même pas lire. Ca, c’est fort. Ils ont commencé à me prendre au sérieux quand ils ont vu que ça marchait. Ils ont commencé à maîtriser les puissances qui nous gouvernent et ils étaient fiers. Mais tout cela, c’était grâce à moi.

- Ils n’ont pas été enlevé n’est ce pas ?

- Mais non, pas du tout. Ils ont filé. Ils se croyaient les meilleurs, les plus forts. Ils se donnaient des noms à la con, Ils voulaient conquérir le monde mais toujours ils oubliaient que, ce qui avait fait d’eux ce qu’ils étaient ; c’était moi. Et juste moi ».

Il trépignait comme un gosse. Depuis longtemps, il gardait son histoire enfuie. Il fallait que ça sorte.

« Mais je n’étais que le fouineur. Le petit merdeux tout juste bon à traduire un livre. Ils ne comprenaient pas que j’étais le plus puissant. Le plus intelligent, Mais je leur ai montré que c’était moi le plus fort. Un jour, je leur ai dis que j’étais entré en contact avec une organisation gouvernementale secrète et qu’elle voulait les recruter. Je leur ai fait miroiter un max de pognon et ils ont marché à fond. Ils se sont cassés de chez eux. Après, ils ont récupéré Lolita dans un caniveau. Une gamine à peine ado qui se prostituait pour vivre mais ils l’ont reconnue pour une des leurs. Puis miss Teigne qui elle aussi a fuit pour les suivre. Une très jolie fille mais qui s’est avérée une vrai calamité. Mais, ils avaient beau l’appeler ainsi, elle comptait nettement plus à leurs yeux que moi. Moi, j’étais toujours une merde à leurs yeux. Le petit intermédiaire. Rien de plus. Mais je les manipulais tous. C’était moi le maître en fait.

- Le puissant employeur qui vit dans une chambre universitaire.

- Hé oui. Personne n’y croit. Ce n’en est que plus crédible et je suis bien ici. J’ai des potes. On se fait des virées le samedi soir. La belle vie.

- Et comment tu payes tes employés ? »

Rire. « C’est ça qui est drôle. Ils se paient eux-mêmes. Ils ne comprennent pas la moitié de ce que je leur demande. Ils me prennent pour un con, mais je suis malin moi. Je touche à tout. Aux jeux, à la bourse. Je place de l’argent et c’est eux qui le font fructifier. Ils espionnent pour moi. Ils trouvent les bons plans sous mes directives. Quelques larcins aussi. Jamais bien méchant. Et ils favorisent des entreprises, distribue de la chance envoient quelques merdes à d’autres et mon argent fait des petites. Ensuite, je leur redistribue, j’en garde aussi pour moi et je me marre.

- Et tu leur demandes de tuer des gens pour te marrer aussi sans doute ?

- Dans un sens. Mais c’est pas vraiment méchant. L’idée m’est venue quand ils ont trouvé celle qu’on appelle Knowledge. Encore une pauvre gosse dont s’était entiché Lucas. Elle m’a donné à réfléchir elle et Lolita. De toute façon, ils ne choisissaient que des filles pour se joindre à leur bande. Et canon de préférence. C’était des pauvres filles et ce qu’elles avaient subi, c’était dégueulasse. Alors j’ai monté une lutte contre le crime. Les filles sont devenue mes espionnes et grâce à elle, j’ai débusqué quelques belles ordures qui agissaient en toute impunité et elles leur ont réglé leur compte. C’était jouissif alors, j’ai continué. Quand on a trouvé Constance, elle s’est spécialisé là-dedans. Et c’était cool. On se la jouait super héros, justicier anonyme. Oui, c’était bien. La petite Knowledge, c’était la seule qui était vraiment gentille avec moi. Alors, c’est à elle que j’ai transmis le plus de connaissance, mais elle n’était pas très douée

- Et puis, Lolita s’est échappée.

- Oui. Un peu avant qu’on recrute Constance. Elle s’était disputée avec Darkness. De toute façon, il se la jouait à je t’aime moi non plus depuis le début. .

- Et tu ne l’as pas supporté.

- Ce n’est même pas vrai. C’est que cette pute avait réussi à placer un sortilège sur ma gueule. Je me suis fait avoir comme un con. Elle me dénigrait. Elle faisait sa belle elle est Darkness. C’était le couple comme au cinéma. Amour gloire et beauté. Et moi, ça me faisait chier alors, un jour je lui ai dit que je n’étais pas qu’un intermédiaire mais que j’étais de la famille du patron, par alliance. Je me disais que ça pourrait l’impressionner. Et ça a marché. Du moins, je l’ai cru. Elle a commencé à s’intéresser à moi. A me faire les yeux doux. J’étais comme un fou, je n’ai rien vu venir jusqu’à ce que je me retrouve en son contrôle par poupée interposée.

Elle pensait sans doute que mon organisation secrète la tuerait. Stupide. Tout comme ton père qui s’était fait passer pour mort de crainte de quelque chose qui n’existait même pas.

- Et ma mère ?

- C’était un accident. Un simple accident. J’avais découvert où la pute se cachait. J’ai voulu allée la voir pour la convaincre de revenir mais en chemin, j’ai aperçu une ambulance, entourée de véhicules de police. Je me suis arrêté, j’ai demandé ce qu’il se passait. Ils m’ont dit que c’était la femme Witches et que ce n’était pas gagné qu’elle assiste à l’inauguration de ce soir. Alors ça m’a donné une idée de vengeance. J’ai téléphoné. Elle ne se méfiait pas, elle a répondu. Je lui ai dit que je savais où elle était et que je devais la voir le soir même. Elle m’a dit qu’elle bossait et je lui ai dit de se débrouiller pour se libérer.

Elle a dû croire que c’était sa faute alors qu’elle était déjà morte. Elle a dû culpabiliser à mort alors qu’elle était décédée avant même qu’elle commence ses invocations. Mais, c’était bien fait.

- Mais tu as fait tuer Soulsand, et mon père.

- Non, ce n’est pas vrai Soulsand. Il s’est suicidé. Il se sentait prisonnier, perdu mais c’était uniquement dans sa tête. Il avait pété les plombs. Et ton père, c’est la Comtesse qui l’a assassiné. Elle a fait ça de son propre chef, moi, jamais je ne voulais que ça aille si loin. Ca a dérapé. C’est vrai, je transmettais certaines menaces de mes soi-disant employeurs, mais c’était du vent. Ca ne devait pas se passer ainsi. »

Il s’effondra et se mit à pleurer. Je regardai ce vieil étudiant de trente ans passé dans son jean délavé et son tee-shirt no future.

« Il est temps que ça se termine tout ça. Ce sont des jeux de gosses. Tu as passé l’age. »

Il a serré les poings. « Non, je suis toujours jeune. Moi aussi je maîtrise le temps, à ma manière. »

Oui, il maîtrisait le temps en vieillissant dans une chambre d’étudiant pour faire croire qu’il était encore jeune. Je laissai ce pauvre gosse frustré, il ne valait même pas le coup qu’on s’y attarde.

Dans le couloir je croisai Elorie. Elle s’arrêta net en me voyant. Je lui mis la main sur l’épaule. « Et toi » lui dis-je « quel était ton rôle ? Tu devais me surveiller ? Sans doute même pas. Il ne savait pas qui j’étais. Non, tu étais chargé de surveiller Lolita. Et quitte à la surveiller, tu couchais avec moi derrière son dos tout en te faisant grassement payée.

Je n’attendais pas la réponse, je m’en fichai. Pathétique

samedi 12 janvier 2008

Chapitre 15

« J’ai réussi.

- Cool. » Knowledge était rentrée. Elle était trempée des pieds à la tête et d’une humeur de chien.

- Que t’est-il arrivée ?

- Je me suis prise une putain d’averse sur la tête. Ca ne se voit pas ? » beugla-t-elle en dégouttant vers la salle de bain.

Ce n’était pas vraiment ce détail auquel je pensais. Je me tournai vers la fenêtre. Il pleuvait en effet. Pas très fort, quelques gouttes tout au plus mais la rue trempée luisait sous la lumière des réverbères. L’averse avait dû être violente. Je ne m’en étais pas rendu compte.

« Tu ne connais pas de sortilèges pour écarter la pluie ?

- Très drôle » envoya une voix railleuse de la salle de bain. « T’es vraiment un petit comique toi ». Elle continua à râler, ses mots se perdant derrière le bruit du sèche-cheveux.

Je haussai la voix pour me faire entendre : « Je pense que je vais y aller maintenant. »

Le sèche-cheveux s’arrêta et elle sortit enveloppée dans un peignoir à blanc. Elle fronce les sourcils. Elle se méfie « Tu vas où ?

- Je vais voir Lolita » Je ne risquais plus rien, j’étais prêt à défier la terre entière. Prêt à conquérir ma belle, Lolita.

Elle hésita, se mordit la lèvre et je pense même qu’elle se mit à rougir « Je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée. »

Ma méfiance revint doucement « pourquoi, qu’est-ce que je risque ? J’ai vaincu Constance.

- Il ne s’agit pas de toi. Mais… En fait…

Ho et puis merde. J’ai pas dit à Lolita ce que je mijotais avec toi. Elle est venue me voir, il y a quelques temps. Elle m’a dit que tu tournais autour de chez elle et qu’elle ne voulait plus te voir. Que tu devais faire ta vie et elle la sienne et que c’était mieux pour tout le monde. Je lui ai parlé de cette idée de craquer le sortilège de Constante car j’avais une petite vengeance en plan avec elle et je trouvai que c’était un plan sympa pour s’amuser un peu et en plus, je t’ai dit, j’ai une dette envers Lolita. Mais elle a refusé. Elle s’est même fâchée et elle m’a dit, si jamais tu fais ça, je te change en crapaud. » Elle s’arrêta, observa mon air décomposé tandis que je tentais d’intégrer que Lolita ne voulait plus me voir. Et comme elle ne comprenait jamais rien, elle se contenta de dire. « Il est évident qu’elle ne sait pas transformer les gens en crapaud. On est d’accord là-dessus j’espère ? Personne ne peut faire ça. » Puis elle continua son histoire. « Oui donc, elle m’a dit que ce sortilège tombait très bien, qu’il fallait que tu partes très loin tant qu’il était temps et que je devais te convaincre de disparaître ». Elle prit son air le plus gêné. « C’est ce que j’aurais dû faire, je sais bien. Mais je ne reçois pas beaucoup. Je te l’ai dit et c’était sympa d’avoir quelqu’un chez moi pour discuter, tout ça quoi.

- Lolita ne veut pas me voir ? Mais même avant de le dire, je savais que c’était vrai.

« Ho tu sais, les amourettes, ça va, ça vient ».

Je n’ai pas entendu la suite. Je lui ai claqué la porte au nez et je suis parti. J’ai erré dans la ville. Je me suis retrouvé devant l’appartement de Lolita. Tout était noir. Je suis resté là. La pluie s’est remise à tomber, je n’en avais cure. J’ai frappé à sa porte. Doucement d’abord puis j’ai tambouriné de plus en plus fort, sans succès alors je suis resté là, c’est tout. Le jour s’est levé, un jour gris et blafard qui a remplacé la lumière des réverbères et je n’ai pas bougé.

« Salut beau brun. » Je baissais les yeux vers un parapluie rose. Une main s’en extirpa et me fit signe de la suivre. « J’obéis. »

Je me retrouvais dans un salon de thé. Il venait juste d’ouvrir, il n’y avait encore personne. La lumière était trop forte mais la chaleur agréable. Je m’assis sur une banquette, trempé et frissonnant et je ressentis enfin la fatigue de la nuit.

« Le contre coup » dit la petite fille en s’asseyant en face de moi. « Tu as usé toute ton énergie pour craquer mon sortilège. » Je souris d’un sourire sans joie à Constance

« J’ai surtout passé la nuit dehors. Virer ta merde ne m’a pas donné plus d’effort qu’un coup de balai ».

Un sourire. « C’est ça oui.

- Lolita ne veut pas me voir. »

Elle sortit son jeu de tarot, et se mit à battre les cartes, les étaler face contre table puis, après un instant de concentration sort celle du cœur. Darkness et Lolita, c’était écrit.

Je lui arrachais la carte des mains. « Mon cul oui. Ces fadaises mystiques ne sont pas plus réelles que du jus d’orange pur jus. »

Elle hausse les épaules.

« Un peu d’intuition, un peu de chance, rien de plus. » ajoutai-je

« Chance, malchance, intuition. Toutes les faces d’une même puissance. Les maîtres du hasard.

- Foutaise. Vous ne maîtrisez rien. Vous tâtonnez, ravis d’invoquer quelque chose qui vous dépasse jusqu’au moment ou ça vous retombera au coin de la gueule.

- T’es pas aussi con que tu en as l’air. » Elle fit glisser son jeu sur la table. « Tiens » dit-elle « montre-moi encore ta réussite ».

Je m’exécutais. Mélangeant rapidement, je disposai les cartes. La partie s’annonça vite mal partie et le sourire ironique de la petite m’énervait au plus au point. Je finis par m’en remettre à la chance mais je perdis quand même.

« Voilà pourquoi tu te retrouves à déjeuner un dimanche matin avec un gamine de huit ans. Tu commences à te remuer le cul quand c’est trop tard. Tu te laisses aller au gré des flots, t’enfonçant de plus en plus profondément dans de l’eau saumâtre et quand tu as bien tout foiré, tu te dis : mais, faudrait peut-être que je me remue un peu le cul pour sortir de cette merde et remonter respirer un coup. Alors tu essais de battre un peu des pieds pour remonter à la surface, mais c’est trop tard. Les dernières molécules d’air sont expirées, les jeux sont faits, et la fille est partie. »

Elle s’arrêta voyant la serveuse arriver, lui fit un grand sourire et redevint une petite fille de huit ans. « Je voudrais deux pains au chocolat et un jus d’orange pressé. 100% pur jus » précisa-t-elle.

Elle continua en me regardant « quand il vient d’être pressé, il n’y a pas de colorants ».

La serveuse acquiesça et je commandai un chocolat chaud et un croissant.

Elle récupéra son jeu, reprenant son air grave, et se remit à battre les cartes. « C’est là que ça se joue » dit-elle. Plaquant le tas contre la table puis le faisant glisser vers moi. « Celle-là est une partie gagnante. A condition de la jouer correctement, évidemment »

Je ne jouais pas, je la croyais sur parole. Je pris cependant le paquet de carte et je coupai.

Elle se mit à rire. « Evidemment, là ça ne marche plus. Tu casses tout. Parfois, je me demande si cette tradition de couper, n’était pas une façon de rompre les sortilèges.

- Tu as tort petite fille ». J’étalai les cartes et commençai la partie jusqu’à retourner toutes les cartes. « Il y a plusieurs façons de gagner. »

Ses yeux brillaient. « Tu apprends vite.

- Je n’ai pas l’habitude de me laisser avoir par une gosse. Depuis combien de temps es-tu dans cette merde ? »

Ces yeux se perdirent vers la rue. La ville se réveillait, quelques silhouettes passaient, de plus en plus nombreuses. Le salon de thé se remplissait. Mon deuxième chocolat était arrivé sur la table, elle commanda un autre jus d’orange.

« Sept ou huit ans » finit-elle par dire alors que j’avais déjà renoncé à l’entendre me répondre.

« Tu n’étais qu’un bébé ! » m’exclamai-je.

Quelques personnes se tournèrent vers nous puis repartirent vite à leur petits déjeuner préférant oublier ce qu’ils avaient sans doute mal entendu.

« Non » dit-elle en revenant à son jus d’orange. « J’avais sept ans et je suis ici de mon plein gré.

- Et tu en as combien alors maintenant ?

- Quelle importance ? J’ai cessé de grandir.

- Comment ?

- Knowledge ne t’a pas appris à diriger le temps ?

En effet elle m’avait parlé de ça mais jusque là je n’y avais guère prêté attention mais voilà que mes derniers points s’éclairaient. Comment Darkness pouvait avoir l’âge de sa nièce et Lolita avoir tant vécu alors qu’elle semblait si jeune.

- Pourquoi vouloir rester une gamine ? »

« Parce que les adultes sont méchants. »

Je partis d’un grand éclat de rire. « C’est toi qui ose parler de méchanceté ! Il n’y a pas pire que toi.

- Alors tu n’as pas dû connaître grand-chose.

- Tu m’as torturé Constance.

- Un simple jeu et tu ne m’en veux même pas.

- Comment oses-tu dire ça ! » C’était vrai, je souffrais bien plus de l’absence de Lolita que de ses petites mesquineries de gosse mal élevée mais je ne pouvais me permettre de le lui avouer.

« Imagine des enfants jouant à faire des boules de neige. Tu en reçois une dans le cou. C’est froid, c’est désagréable mais au final, c’est amusant et la seule chose à laquelle tu penses, c’est en faire une toi même et la renvoyer à ton tour.

- Tu veux dire que tu ne te rends pas compte de la souffrance que tu infliges ? »

Elle se lève, paye le petit déjeuner, récupère son parapluie et me fait signe de la suivre. Je m’exécute. On se retrouve à marcher cote à cote pendant quelques minutes. Cet air grave dans ce visage enfantin. Je le comprenais mieux maintenant. C’était ça qui m’avait dérangé chez elle. Ma première impression était sans doute la bonne. De la petite fille, elle n’avait réussi à garder que l’apparence. Elle se mit à parler. Doucement d’abord, puis avec plus d’émotions « Tu ne sais pas ce qu’est la souffrance. Quand ceux chargés de veiller sur toi te réveillent en pleine nuit pour te fouetter à coup de fil de fer barbelé, comme ça, juste parce que ça les fait rire. Quand tous les jours tu alternes entre la peur de mourir et l’espoir d’en finir. Quand chaque matin tu te demandes si tu verras encore le soleil se coucher parce qu’on t’a brûlé un oeil le matin avec la promesse de réitérer sur l’autre le soir. Quand la seule raison pour laquelle tu n’es pas mutilée, c’est pour rester présentable quand les amis de papa viendront tâter la marchandise. Ca, c’est la souffrance. Et maintenant, c’est eux qui souffrent. Ces hommes qui s’estiment au dessus des lois, qui se sentent le pouvoir de commettre les pires atrocités en toutes impunités parce que personne n’osent les condamner. Ceux qui s’en sortent les mains propres et nettes par vices de procédures ou absence de preuves et ceux-là, je les fais souffrir car je sais imaginer la souffrance. Je l’ai vécue. Pour toi, je n’ai imaginé qu’un jeu parce que tu n’es pas méchant, parce que tu es comme moi, et que pour toi, je me dis que je pourrais peut-être grandir un peu.

Je me tournai vers son petit visage, soudain éclairé par une lueur coquine.

« Oui. Quelqu’un comme toi pourrais me donner envie de grandir. Un petit peu. Pas trop. Ajouta-t-elle.

- Tu me fais des avances ? »

Elle pose un doigt sur ses lèvres et y dépose un baiser avant de le porter sur les miennes.

« Désolé, je ne m’intéresse pas aux petites sorcières qui jouent à la poupée.

- Je sais. Je ne suis qu’une petite fille même si j’ai vécu sans doute aussi longtemps que toi. Comme tu ne seras toujours qu’un petit garçon aux yeux de Lolita même si vous semblez avoir le même age. »

C’est faux ». M’exclamai-je mais je commençai à comprendre. Mais ça ne faisait aucune différence à mes yeux. Ce que Constance ne comprenait pas, c’est qu’entre Lolita et moi, ce n’était pas une question d’age, d’apparence, de pouvoir. Rien de ce qu’elle avait pu faire ou vivre n’importait. Notre amour allait bien au-delà de ça. Il était au-dessus des différences, des lois, de tout. Il pouvait déplacer des montagnes. Il était plus fort que tout. Mais cela, elle ne pouvait pas le comprendre. Elle continuait « Je ne connais pas bien Lolita. A vrai dire, je l’ai à peine aperçue. Knowledge aussi je la connais mal. Elle s’est mise à l’écart un bon moment a cause de cette histoire avec son amoureux. Bref, l’amour, c’est une belle merde. Ca a fait dérailler Knowledge et Soulsand . Et Lolita, elle est un peu givrée aussi. Quand on l’a récupéré, elle était maigre, malade et pleine de vermine. Elle devait se cacher dans les endroits les plus immondes, mangeant du rat sans doute, et complètement éreintée à force de plasmodier sans arrêt ses incantations protectrices. C’est pas bon ça. Il est des puissances qu’il vaut mieux se contenter d’effleurer.

Maintenant elle récupère. On s’occupe d’elle. Elle est avec ses semblables. C’est mieux.

- Je veux la voir.

- Bien sur, pour lui faire du mal en la harcelant avec tes sentiments qu’elle ne partage pas ?

. - Tu ne comprends rien.

- C’est toi qui ne comprends rien. Tu es surveillé, nous le sommes tous plus ou moins.Thimothé nous l’a dit.

- Mais, Knowledge m’a dit…

- Knowledge ment comme elle respire. C’est une pauvre fille qui a peur de son ombre. Bien sur que nos supérieurs savent où tu es. Ils te surveillent sans doute depuis qu’ils ont découvert qui tu étais vraiment. Tu peux remercier la Comtesse pour avoir craché le morceau et dénoncer ton père. Mais toi, tu es tellement focalisé sur Lolita que tu n’as rien vu de ce qu’il se passait autour. Ils savent qui tu es. Il savent qui était ton père et ils savent que tu portes en toi les potentiels de Soulsand. Alors maintenant, réfléchis, pourquoi crois-tu que tu es encore en vie alors qu’on te raconte tranquillement des secrets qui ont tué ton père dès qu’il a voulu t’en parler ? »

Je secouai la tête, qu’est ce que j’en savais.

« Ils te veulent. Voilà tout. Nous ne sommes pas assez nombreux, ils te laissent te promener au pays des merveilles dans l’espoir que tu restes dans la cabane du lapin blanc. Alors, Lolita a dit à Knowledge : chasse-le avant qu’il ne soit trop tard parce qu’elle t’aime bien. Un peu comme un tout petit frère. Plus même car pour je ne sais quelle raison elle veut te protéger, elle dit qu’elle a une dette envers les Witches. Mais Thimothé a dit à Knowledge : garde-le et fais-lui miroiter la puissance qu’il pourrait acquérir et elle a obéi, car elle est lâche. Et puis tu es venu pleurer devant chez Lolita et elle n’a pas supporté de te voir si malheureux et m’a dit : “va le voir, explique-lui qu’il doit partir ”. Alors je t’explique. Je risque des problèmes en te disant ça mais je m’en fous parce que moi, je ne te considère pas comme un petit frère, ni un grand » Elle ouvre les deux mains. « D’un coté tu as le pouvoir de l’autre la liberté mais c’est tout de suite. Si tu attends, tu tombes au milieu. » dit-elle en claquant ses mains.

Je n’hésitais pas une seconde : « Ce que je veux, c’est Lolita »

Elle s’arrête. Je reconnais l’immeuble de Darkness. Elle ouvre la porte. Ses doigts se crispent contre la poignée « Nulle part il n’y a de Lolita.

- Pourtant tu l’as dit, tu as dit que l’amour l’avait fait dérailler, que c’est pour cela qu’elle fuyait. Elle voulait rester avec moi. »

La petite appuie la joue contre la porte vitrée. On l’aurait dit sur le point de pleurer.

« Tu ne comprends rien Witches, il ne s’agit pas de toi mais de Darkness. Ce n’est pas son boulot qu’elle a fuit en se réfugiant chez les Witches. C’est un chagrin d’amour qui la ronge depuis dix ans. Elle refusait de rentrer car elle était trop fière pour lui avouer qu’elle ne pouvait vivre sans lui et il s’est servi de toi pour la retrouver parce qu’il ne peut vivre sans elle.

Darkness viendra à toi pour te proposer l’issue de secours, il est prêt a tout pour te voir partir le plus loin possible. En attendant, il dort. Avec Lolita. Ils ont dix ans à rattraper. La porte vitrée se referme entre Constance et moi. La petite fille disparaît dans un ascenseur.

Je tombe a genoux sur l’asphalte. Je pleure.

lundi 7 janvier 2008

Chapitre 14

Knowledge se frappa les mains avant de se frotter les paumes l’une contre l’autre. « Bon, on s’y met. On va essayer de supprimer le sortilège de cette gamine ». Dit-elle soudain.

Mon corps se rappela la douleur ressentie et le sourire pervers de Constance.

« Tu peux l’empêcher de me faire du mal avec sa poupée ? »

Elle me détailla en hésitant et s’affala a nouveau dans son fauteuil. « Tu sais, la Comtesse. Miss Teigne. He bien, elle m’avait prise en grippe. Comme ça, sans raison. Elle n’arrêtait pas de m’insulter. Un jour, je m’étais cassé un ongle et elle me l’a chopé. Comme ça. J’ai commencé à paniquer. Car les ongles, c’est le plus dur à trouver. En général, même sans être parano, je les brûle dès que je me les coupe. Les cheveux, c’est facile. On en perd partout alors après, je me méfiais d’elle comme de la peste. Et tu sais comment elle a fait pour le sang cette salope ? Elle m’a pisté aux chiottes quand j’avais mes règles. Elle l’a récupéré sur un tampon. Encore une injustice pour nous les femmes. Evidemment, ce n’est pas un truc qui peut arriver à un mec ça. Enfin, là n’est pas la question, c’est mal. Déjà, faire ça entre nous, c’est pas bien et surtout comme ça. Evidemment elle s’est mise tout le monde à dos. Mais elle s’en foutait. Elle se la jouait style princesse dans son château avec ses œuvres caritatives et tout le bordel.

- Attends, si je comprends bien, le coup de la poupée, il faut des ongles, des cheveux, et du sang ?

- Oui.

- C’est pour cela que vous avez mis ces échantillons dans votre pacte ?

- Oui. C’est une façon de dire nous sommes tous réuni et on se fait pas des crasses dans le genre. Mais miss Teigne, elle n’a jamais voulu adhérer à ça. Ho non, elle faisait sa fière.

- Et elle n’a jamais été rechercher ses échantillons ?

- Elle ne sais pas où ils sont tu penses. En plus, ça porte malheur.

- Je suppose que quand tu dis que ça porte malheur, ça veut vraiment dire que ça porte malheur.

- Ben oui, qu’est ce que ça voudrait dire d’autres ?

- Non, laisse tomber.

- T’es vraiment bizarre toi. »

Oui, j’étais sans doute bizarre. Bizarre comme un pauvre bougre qui s’enfonçait dans un monde qui ne devait pas exister pour une fille qu’il n’aurait sans doute jamais.

« Et donc, toi, tu t’es trouvé sous l’emprise de la comtesse ?

- Oui.

- Mais tu as réussi à t’en sortir.

- Oui.

- Comment ?

- Elle est morte.

- Hein ?

- La comtesse, elle est morte. Ca a mis fin au sortilège.

- Tu veux dire qu’il faut que je tue la petite Constance.

- Oui. Elle se reprit et secoua la tête. Mais non, bien sur que non. En plus ce n’est pas une mauvaise fille. Enfin je ne la connais pas depuis longtemps car on m’a un peu mise au rebut après les histoires de Soulsand. Mais maintenant, ça va. Elle a même signé le pacte.

Enfin, ce n’est pas la question. La comtesse m’a eu. Puis Lolita est venue me voir. Tu sais, tu étais là. Elle avait déjà réussi à avoir du sang et des ongles de la comtesse. J’ignore comment car c’est le plus difficile. Bref, je sais qu’après, elle est partie avec toi chercher des cheveux et que ça a mal tourné. Mais elle a réussi et elle m’a sauvé. Elle m’a vengé. Tu vois, Soulsand, il est peut être mort mais au moins il ne se laissait pas aller et Lolita non plus. Et moi, je reste comme une chiffe molle à me terrer car j’ai peur de bouger le petit doigt. Je ne suis pas très doué, tu sais. Mais maintenant, je suis libre. Enfin, dans une certaine mesure. Disons que je n’ai plus la Teigne sur le dos. J’ai encore les autres bien sur mais tant que je fais ce qu’ils veulent et que je ferme ma gueule, on s’entend pas trop mal. Et Lolita, elle est malheureuse, parce qu’elle t’aime bien. Peut-être un peu comme moi j’aimais Soulsand mais pas pareil. Et tu vois, je reste assis mon cul sur une chaise et... » Elle fait un grand mouvement avec les bras et puis plus rien.

« Je ne vois toujours pas ce que tu envisages ».

Elle se lève et me fait signe de la suivre. J’entre après elle dans une chambre qui devait servir de bureau. Un ordinateur et le matériel qui va avec, quelques dossiers. Elle ouvre un placard révélant quelques flacons, divers instruments que je ne connais pas puis se remet à parler en fouillant parmi les flacons « Tu vois, moi, je ne suis pas très douée. Et Miss Teigne, elle était vraiment vicieuse. Elle l’a préparé son sortilège. Elle a dû bien mettre six mois à le concocter se prélassant en imaginant la tête que je ferais sans doute. Mais ce genre de truc, ça peut se craquer. Lolita en avait fait un sur Thimothé avant de s’enfuir. Un beau aussi. C’est pour ça qu’elle n’a pas été poursuivie. Elle les tenait au chantage. Je lui avais dit que ça lui retomberait dessus, mais elle ne m’a pas écouté. De toute façon, personne ne m’écoute jamais Darkness a finalement réussi à le craquer mais il aurait été bien plus vite s’il avait voulu. Mais il n’est pas méchant et puis il est amoureux d’elle. C’est juste qu’il fallait vraiment qu’il récupère Lolita parce que Thimothyé a dit qu’en haut lieu ça commençait à s’énerver.

Alors moi, je me suis dit : il fait faire un sortilège par une gamine. En plus, elle concocte ça en même pas 24 heures. C’est que ça ne doit pas être bien violent à craquer. C’est pas méchant si vraiment ils voulaient te tenir, ils t’aurait concocté quelque chose de plus costaud. A mon avis, c’est plus une sorte de bizutage. Soulsand aurait aimé. Tu sais, je ne suis pas très doué mais je suis Knowledge. Je connais beaucoup de chose.

- Alors tu t’y mets ? ».

Elle me regarde, effarée. Une collection de tubes à essai dans les mains. C’est vrai que j’étais un peu dure avec elle. Mais elle parlait, parlait. Et je ne comprenais rien, ou alors je ne voulais pas comprendre. Elle dissertait sans cesse de choses qui ne peuvent exister et auquel j’étais obligé de croire. C’était dérangeant.

Elle finit par tirer vers elle une petite table basse et y posa sa sélection de tubes.

« Et maintenant, on fait quoi ?

Elle me regarde fixement, assise en tailleur devant la petite table : « on se met à poil et on danse autour de la table.

- Tu plaisantes ! »

Elle éclate de rire. « Evidemment, je plaisante, ce que tu peux être bête. On va décortiquer les choses une a une. D’abord, il me faut une incantation.

Elle me regarde comme si je pouvais lui sortir ça. » Qu’est ce que tu veux que j’en sache. J’en connais pour maîtriser le hasard. Lolita les ressassait sans cesse. Pour le reste, que dalle.

- Putain, tu étais là, tu l’as bien entendu la Constance. Elle n’a pas dit un truc, une phrase, un poème ou juste un mot qui se répétait ?

- Elle chantait.

- Alléluia, on avance. Elle chantait quoi ?

- Je n’ai pas fait attention et c’était il y a des mois, une comptine je crois. »

Elle pointe un doigt vers moi « première erreur, toujours faire attention. Même avec ton meilleur pote. Alors, quelle chanson ?

- Je ne sais pas. » Je tentai de me remettre ce jour horrible en mémoire. J’avais la gueule de bois, l’estomac dans les talons et une migraine épouvantable. Lolita était là et Darkness est entré avec son air triomphant suivi de la vicieuse petite fille avec sa poupée qui chantonnait. « Une musique de dessin animé je crois. Walt disney.

- Lequel ?

- Je n’en sais rien, j’ai passé l’age. Ca parlait d’anniversaire.

- Mauvaise excuse. Elle aussi a passé l’age mais on va partir de là ». Elle se relève et file vers son ordinateur. « On disait parole de chanson walt Disney Anniversaire. Rechercher dans tout le web. « C’est parti.

- Vous avez une façon bizarre de faire de la sorcellerie. »

Elle me lance un regard pervers. « Tu aurais préféré danser nu autour de la table avec moi n’est ce pas ? »

Je me surprends à sourire. Non, je n’aurais pas aimé mais je commençais à comprendre pourquoi quelqu’un de ma famille avait pu s’enticher de cette fille. Il fallait la connaître.

« Mon père savait-il aussi tout cela.

- Je crois qu’il s’y était mis un peu comme toi en tâtonnant dans l’espoir de retrouver Soulsand et Lolita a sûrement dû lui apprendre certains trucs. »

Elle ne trouva pas directement. Elle fut obligée de passer en revue une bonne partie des dessins animés et leurs chansons. « Alice au pays des merveilles » dit-elle soudain. « Un joyeux non anniversaire du chapelier fou ». Elle se mit à chantonner.

« C’est ça oui.

- Comment n’y avais-je pas penser » dit elle en s’applaudissant, « je la connais.

Ensuite elle me fit délimiter les paroles exactes utilisées. Je pense les avoir retrouvées. Je lui demandais tout de même si elle ne pouvait pas en avoir changé une partie. Je n’étais pas absolument sur. Elle me regarda, me lançant une grimace. « Ce ne serait pas du jeu ça. » Je n’insistais pas. Elle imprima le texte et le relut. « …Un joyeux non anniversaire. Soufflez très fort sur la bougie et le vœu s’accomplit

C’est bien trouvé. Elle me plait la petite Constance. J’aurais dû m’en douter c’est tout à fait son genre cette histoire. Le lapin blanc, le chat qui parle tout ça.

- Le petit ange » dis-je avec ironie.

« Tu es dur avec elle. Elle n’a pas eu une vie facile tu sais. A vrai dire personne n’a eu une vie facile.

- Une petite fille qui n’hésiterait pas à me tuer.

- Mais non, elle joue c’est tout. Tu vois le mal partout »

Je ne répondis pas. « Bon, on fait quoi maintenant ?

- On se fait à manger. J’ai faim.

- On ne peut pas finir d’abord ?

- Hé, rêve pas, ça ne se fait pas en quelques heures un truc pareil. Il ne suffit pas d’un brin de chance, là. Tu joues au pays des grands même si c’est contre une petite fille. »

Elle partit dans la cuisine en chantonnant la chanson du chapelier fou. Et je me dis que, ce qu’Alice avait dû ressentir en arrivant au pays des merveilles ne devait pas être loin de se que je ressentais ici.

Je restai une semaine chez Knowledge. C’était une gentille fille. Paumée, pas très intelligente, vraiment très naïve, mais gentille. Elle m’a montré quelques tours. C’était exactement ce que me disait mon père. Manier des puissances dont au fond elle ne connaissait rien. Avancer en tâtonnant en espérant que ça ne vous saute pas à la gueule. Je connaissais le hasard. Elle. Elle évoqua aussi le temps, l’espace et l’énergie qui nous entoure. Elle m’impressionnait et me faisait peur en même temps. Mais elle concluait toujours par ses mots. «Je ne suis pas très douée, tu sais » Qu’est ce que ça devait être les autres.

Je lui avais demandé si elle n’en avait jamais profité pour gagner quelques paris.

Elle m’a regardé avec son air désespéré pour répéter. « T’es vraiment pas normal toi. Tu sais combien je gagne ? Qu’est ce que j’en ai à foutre de gagner trois sous. Et surtout, nous n’avons pas le droit de jouer. »

Un téléphone sonnait. Mes yeux se portèrent sur le réveil. 10h30. Ca faisait longtemps que je n’avais pas si bien dormi. C’était chez les méchants que je dormais le mieux pensai-je. Voila que je me sentais en sécurité alors que j’étais justement chez une de celle qui travaillait pour mes ennemis inconnus.

Cette idée me fit sourire. Le téléphone sonnait toujours. Knowledge était-elle pire marmotte que moi ? Il faut dire que, la veille, nous avions bu un peu plus que de convenance. Sans doute ne voulait-elle juste pas répondre. C’était bien son style. Je me levai. J’ouvris plusieurs portes sans la trouver. Cet appartement était un enchevêtrement de petites pièces. Il ne payait pas de mine mais était en réalité immense. Surtout pour une personne seule et vu le prix au mètre carré dans ce secteur du centre ville.

Le téléphone sonnait toujours. « Knowledge ? » Appelai-je. Je n’aimais pas l’appeler ainsi. J’aurai voulu avoir un vrai prénom à lui donner. Elle n’avait pas voulu me dire le sien. Elle disait qu’elle ne s’en souvenait pas. La boite au lettre était au nom de Béatrice Knowledge. Une fois je l’ai appelé Béatrice, elle n’a pas répondu j’ai réitéré et elle m’a demandé pourquoi je disais ça. « Ce n’est pas ton prénom ? » ai-je demandé.

« Bien sur que non.

- Alors comment est-ce ?

- Appelle moi Knowledge.

- Pourquoi vous donnez-vous tous ces surnoms ? »

Elle a haussé les épaules.

« Parce que tu crois que ton père s’appelait vraiment Witches ? »

Ca ne m’avait pas donné la réponse mais ça m’avait coupé l’envie d’insister. Je l’avais cru durant longtemps.

Elle avait fini par me raconter son histoire après un bon dîner et quelques verres. Elle avait intégré cette bande de cinglé à 13 ans. Elle n’aimait pas que j’utilise le terme de bande de cinglé. Au fond, elle se sentait bien là-dedans. Elle disait qu’au moins elle n’avait pas eu à s’emmerder à aller à l’université, bosser pour des conneries et se retrouver au chômage. Elle disait que c’était un boulot comme un autre. Je n’avais pas encore cerné exactement quel était son boulot mais Je n’étais pas d’accord. Plus j’en apprenais moins j’étais d’accord. Elle s’infiltrait dans divers milieux, trouvait des données, des informations. Elle ne savait même pas pourquoi ni pour qui. Elle avait déjà torturé des gens avec ses petites poupées ou autres artifices issus de son imagination. Elle n’avait pas l’air d’en exprimer le moindre remord. Les soldats aussi tuent des gens. Il faut bien se défendre. Impossible de lui expliquer que c’était différent. Elle était butée comme un âne. Elle se disait fonctionnaire, elle avouait qu’il y avait quelques désagréments mais au fond, quel boulot n’en a pas. Non, le seul problème, c’était pour créer une famille. Avec Soulsand, elle ne voyait pas concilier le travail et les enfants. Quand les enfants demanderaient ce qu’ils faisaient, des bricoles dans le genre, ce serait gênant et ils ne voulaient pas qu’ils finissent comme eux. Ca n’allait pas plus loin. « Ils ont tué ton fiancé » lui avais-je fait remarquer. Oui, ça, elle leur en voulait même si elle en avait conclu que ça n’avait rien de personnel. C’était la Comtesse qui l’avait tué, c’était pour elle la seule responsable et elle était morte. La justice avait été rendue. Le téléphone sonnait toujours. Je passai devant un combiné. Je songeais à répondre. C’était naturel, ne fut-ce que pour passer le message puis ma paranoïa reprit le dessus et je laissai sonner.

Oui, elle était bizarre Knowledge. Elle n’avait pas eu une vie facile. Elle s’était fait battre puis violer par son beau-père jusqu’à ce qu’elle se décide à fuir pour vivre dans la rue. Sans ce que tu appelles une bande de cinglé, je serais morte à l’heure qu’il est, avait-elle dit. Au lieu de ça, regarde où je vis ! « Lolita aussi était une fille des rues. Ils nous ont offert une vie normale ». Parce que plus fort que tout, elle jugeait que sa vie était normale. J’avais arpenté tout l’appartement sans trouver sa propriétaire. J’avais par contre trouvé à manger. Le téléphone s’était remis à sonner. A la troisième fois, je me décidai à répondre. « Quand même » s’exclama Knowledge à l’autre bout du fil. « Tu ne sais pas te servir d’un téléphone ou quoi ? Je commençais à croire que tu étais parti.

- Désolé mais c’était un peu dangereux de répondre. Imagine si je tombe sur tes employeurs.

- La seule personne en contact avec moi, c’est Thimothé. C’est une truffe, tu l’aurais remarqué avant même d’avoir décroché.

- Pardon ? » J’avais l’impression de retomber sur ce vieux sketch du téléphone. Allo c’est toi ? Oui. Alors je décroche car si ce n’était pas toi, je n’aurais pas décroché.

Soupir interminable au bout du fil. « T’es tu demandé si c’était risqué de répondre ?

- Oui.

- Et tu t’es dit quoi ?

- Que c’était dangereux de répondre au téléphone.

Voix de plus en plus agacée. « Je ne te demande pas si c’est dangereux de répondre au téléphone mais à ce coup de fil en particulier.

- Je ne comprends pas.

- Cervelle d’étron, fie-toi à ton intuition. Demande-toi. Est-ce dangereux ça ? Et si tu penses que non, c’est que ça ne l’est pas. Putain, Tu es peut-être le frère de Soulsand mais tu ne lui ressembles que physiquement. Je fais mes compliments à Darkness pour avoir eu le courage d’accepter une apprentie. Moi je ne pourrais pas. Pas patiente. En plus, je dois me faire passer pour une femme patiente, cultivée. Genre vieille bourge quoi. Un boulot pour la Comtesse ça pas pour la petite Knowledge. Bref, je t’appelais pour te dire que j’avais dû m’absenter. Enfin, ça, j’espère que tu avais été assez futé pour le remarquer. Tu peux rester planqué chez moi. Et tu n’ouvres ou réponds que quand tu peux le faire sans risque. Et il y a de la bouffe dans le frigo. J’ai pas la TV tu l’auras remarqué. J’aime pas à cause des pubs. Pas patiente. Mais j’ai plein de divX à coté de l’ordinateur.

- Et pour Constance ?

- Ha oui, c’est vrai. Heu, tiens, tu peux finir la petite mixture. Pour la recette va dans l’ordi : mes documents, dossiers petites mixtures, puis relaxant, puis invocation et piratage. Tu as les ingrédients dans le placard et tu ajoutes celle que j’ai faite il y a deux jours. Faut que tu fasses une poupée aussi. Tu fouilles dans ma chambre, tu trouves un vieux bas, ça fera l’affaire et tu le bourres avec une petite préparation dont tu trouveras aussi la recette dans l’ordi dans la rubrique catalyseur et tu cliques Constance. Elle ne sait pas que je l’ai. Ca va la rendre folle.

- Au sens propre ? » Imaginer Constance se tapant la tête contre les murs était pour moi un spectacle dont je rêvais.

« Tu es trop bête toi. Je dois y aller, je te rappelle. »

Voila comment je passai une journée à préparer des tisanes nauséabondes. J’avais l’impression d’être revenu en enfance quand je jouais à fabriquer de la soupe aux cailloux. En fait, ça ressemblait vraiment à cela. Des jeux de gosses. Sauf que les résultats n’étaient pas les mêmes. Le téléphone sonna plusieurs fois. Je ne décrochais pas. Je ne sais pas si je l’estimai dangereux ou non. Je dirai que ça ne me paraissait pas utile. Dans la soirée, il sonna à nouveau. Je m’interrogeai de même sur le danger potentiel et l’utilité et en déduisis que celui là, je devais répondre.

« Allo ».

Pas de réponse.

« Knowledge ? ».

Rire, pas le sien. « Bonjour mon lapin blanc. Je t’ai trouvé.

- Constance !

- Bien vu. Reconnaissance ou intuition ?

- Qu’est ce que tu veux ?

- Il court, il court le lapin blanc. Il lui reste 3 heures et Aïe Aïe Aïe.

- Ce n’est pas un jeu petite fille.

- Il est en retard en retard, il a rendez-vous quelques part. 2h59. »

Elle a raccroché. La salope. Je ne voulais même pas imaginer ce qu’il se passerait dans deux heures et cinquante neuf minutes. Et Knowledge qui ne se manifestait pas. Je passai la première demi-heure à tourner autour du téléphone, espérant qu’elle ait l’intuition que quelque chose n’allait pas ici. Mais c’étaitsans doute la moindre de ses préoccupations. Je me décidai à partir à sa recherche. J’attrapai un manteau, dévalai l’escalier ne voulant pas attendre l’ascenseur et sortis. Je me retrouvais dans la nuit. L’intuition me dis-je. Gauche ou droite. Je me décidai pour gauche. Au bout d’une vingtaine de minutes et quelques croisements plus tard, je fus persuadé que je n’avancerais pas ainsi. Un taxi. Il me fallait un taxi. La rue était déserte, il faisait noir. Je commençais à cerner le truc. Supplier la chance ne servait à rien. Il fallait être ferme, ordonner. La chance se dressait tel un cheval sauvage. Un taxi passa, je lui fis signe. Il commença son baratin : « on peut dire que vous avez de la chance, d’habitude, je fais mon tour par la rue adjacente. Et là, j’ai eu envi de changer » Je réponds par une réplique que m’avait souvent sorti Lolita sans que j’en comprenne la teneur : « Je fais ce qu’il faut pour.

- Où va-t-on ?

- Vous roulez, je vous dirais au fur et à mesure.

- Comme dans un film ?

- Pareil, oui.

Il se mit à avancer. Je dois encore être un débutant au niveau de la chance. Le conducteur méritait des baffes. Il n’arrêtait pas de parler. Je ne répondais pas. Je devais me concentrer sur mon intuition. Lui était vexé. A croire que, nous seulement je payais, mais qu’en plus je devais tenir le rôle de psy. « Arrêtez-vous là ». Je désignais un bâtiment éclairé.

Il siffla. Monsieur ne va pas n’importe ou.

Sans doute. C’était une ambassade. Il y avait une réception. Et bien sur, plusieurs portiers. Je sortis et demandai au taxi de m’attendre. Il demanda une caution. Je n’avais pas un sous et il me fit perdre au moins cinq bonnes minutes supplémentaires. Je finis par lui donner ma chevalière en garanti. Il fit le difficile, cherchant à voir si c’était bien de l’or. Je le laissai à ses spéculations, afin de repartir dans ma concentration marmonnant en plus quelques incantations apprises par mon nouveau professeur. Dire que je me foutais toujours des chansonnettes de Lolita. Je ne savais pas exactement ce que je faisais. J’invoquai des puissances que je ne connaissais pas sans autre but que d’entrer. Le moyen importait peu pour moi. Il me fallut encore quinze minutes avant qu’une élégante jeune femme ne sorte et s’étale dans un hurlement au milieu de l’escalier. J’eus mal pour elle. Ce n’était pas tout à fait ça que j’espérais. Je me faufilai tandis que les gardes s’étaient précipités pour aider la femme qui semblait sérieusement blessée. C’était le problème avec la chance, on ne savait jamais sous quelle forme elle allait se manifester.

Knowledge, malgré sa totale absence de moralité apparente, refusait, sauf extrême urgence, de telles invocations. C’est toujours au détriment de quelqu’un m’avait-elle fait remarquer. Elle disait que ce n’était pas sain. Ca m’avait rappelé l’épisode ou Lolita l’avait évoqué pour avoir une chambre dans un hôtel. J’en ai parlé à Knowledge. Elle m’a dit que c’était un parfait exemple. Tu veux dire que si Lolita n’avait pas invoqué la chance. Le père du type qui nous a laissé sa chambre pour partir précipitamment à cause du décès de son père ne serait pas mort ?

Moi-même je ne me sentais pas clair. « Tu penses que c’est Lolita qui a fait tuer un innocent en invoquant la chance ?

- Qu’en sais-je ? Peut-être serait il mort de la même façon si elle n’avait rien fait, peut-être pas, peut être que sa mort a juste été avancé de quelques minutes. Quoique, quand c’est sur soi que ça tombe, ces quelques minutes, on y tient. Ou peut-être serait-il encore en vie et que donc, on peut dire que Lolita a tué un home juste pour s’amuser dans une fête de village. » Ca avait jeté comme un froid cette conversation.

Et cette femme qui se tenait la jambe en pleurant sur les marches de l’ambassade, suis-je la cause de sa blessure ? Blessure qui ne me servira à rien si je ne me dépêche pas. Je profitai de la panique pour me faufiler. J’aperçus facilement knowledge qui, assise sur un tabouret haut contre le bar, buvait une coupe de champagne dans une robe du soir, ses cheveux relevés en chignon telle une élégante femme d’une trentaine d’année. La rumeur de la blessée était parvenue à l’intérieur et se diffusait d’invité en invité tandis que les curieux se déplaçaient vers la sortie. Knowledge ne bougeait pas.

C’est à toi qu’on doit ce massacre ? » Dit-elle sans se retourner.

« Pas vraiment.

- C’est pas une réponse ça.

- Alors disons : pas exprès.

- Je t’avais dit, les invocations, c’est mal. Ca se combine toujours plus ou moins avec la poisse. Je t’ai déjà parlé de ma théorie sur les vases communiquant ?

- On philosophera plus tard, Constance a appelé, elle m’a fixé un ultimatum. Il ne me reste qu’une demi-heure.

- Une demi-heure avant quoi ? »

Elle ne me l’a pas dit, je crois qu’elle veut utiliser la poupée.

- Aïe Aïe Aïe.

- C’est ce qu’elle m’a dit.

- Tu n’aurais pas dû répondre.

- Désolé, j’ai suivi ton conseil pourtant.

Elle approuva de la tête au rythme de la musique de la salle avant de conclure. Elle est douée cette gosse. Moi, je suis qu’une merde à coté. Ca fait chier.

- Il faut que tu m’aides.

- Non pas question. J’ai à faire ici. De toute façon, je mettrais beaucoup trop de temps. Tu dois le faire toi-même, ce sera plus rapide. Tu as fait la poupée ?

- Oui.

- La tisane aussi ?

- Oui.

- OK. Tu rentres. Tu bois la tisane, tu fais l’incantation et quand tu sens quelque chose, tu mets le feu à la poupée tout en continuant les incantations jusqu’à ce qu’elle soit entièrement brûlée.

- C’est quoi les incantations ?

- Tu alternes avec la chanson de Constance et une à toi.

- Une a moi ?

- Oui, n’importe quoi. Un mot, une phrase, une citation mais quelque chose qui te parle, qui vienne de toi. L’important n’est pas ce que tu dis mais l’imagination.

Je la suppliai de venir avec moi, mais elle demeura intransigeante.

« Hé merde. Juste une chose, t’as pas du fric pour le taxi ? »

Elle me sortit quelques billets d’un petit sac à main en soupirant. La prochaine fois, appelle moi sur mon portable. Merci du conseil. Et le numéro, je le trouve où ?

Tu as bien trouvé une adresse que je ne t’avais pas donnée en venant ici.

En effet, j’aurai sans doute pu, de la même façon deviner son numéro.

« Erreur de débutant » conclut-elle. Elle fronça les sourcils « Et surtout » dit-elle. Je m’arrêtais dans mon mouvement vers la sortie. « Surtout, ne mets pas le feu à l’appart »

C’est ça oui « tu peux au moins faire en sorte que j’ai de la chance ?

- Tu sais, moi, je ne suis qu’une merde alors contre Constance... »

Je me précipitai à l’extérieur sans écouter la fin de ses lamentations, récupérai mon taxi et lui donnais l’adresse de Knowledge. Il en profita pour me décrire en long et en large l’accident de la pauvre fille. Je ne voulais pas écouter ça, je culpabilisais à mort.

J’arrivais à l’appartement dix minutes avant la fin du délai. Au moins, je n’avais pas le temps de réfléchir. Je bus la tisane acre et froide. Trouvais une coupelle et y mis la poupée. J’avais la tête qui tournait et je tremblais. Je trouvais des allumettes. J’aurais dû attendre avant de boire. L’effet était rapide et j’avais les jambes qui flageolaient. Je commençais à chantonner cette chanson débile de non anniversaire. « Souffler très fort sur la bougie et le vœu s’accomplit ». Pour moi, je ne savais que dire alors je me contentais de répéter ce qui me tenait le plus à cœur : Lolita. Je répétai, inlassablement. Je devais toucher quelque chose. Mais quoi ? Plus qu’une minute et je ne sentais rien si ce n’est une sorte de brume sans doute effet de la drogue. Et merde, plus le temps. Je craquais une allumette. Le téléphone sonna. Je laissais tomber l’allumette sur la poupée et appuyai sur la touche haut parleur tout en continuant à marmonner. « Aïe Aïe Aïe » dit une voix de petite fille avant de raccrocher. Le monde disparut aussitôt sous une chape de douleur. Je luttai pour ne pas me laisser submerger. Souffler très fort sur la bougie et le vœu s’accomplit. Lolita. Je pensais à elle, je souffrais pour elle. La poupée se consumait. Nouveau sursaut de douleur. Et le vœu s’accomplit. Mon vœu, Lolita. Et je sentis. Quelque chose. Je n’aurais su dire quoi. Les dernières braises se consumaient, je me relevais doucement tremblant encore. Comme un automate, je sortis de mon manteau la liste froissée. Constance. Une adresse, un numéro de téléphone. Je décrochai le combiné.

« Allo ? » fit une voix d’enfant.

« Tu as perdu ».

Silence. Puis à nouveau cette petite voix qui devrait être innocente « Witches ? »

Je me surpris à lui répondre gentiment « oui

- tout à l’heure j’ai gagné pour te faire décrocher. Ca fait un partout. On peut faire la belle.

- Constance ?

- Oui.

- Je ne joue pas avec les filles qui n’ont pas de poitrine

dimanche 6 janvier 2008

Chapitre 13

Je fis mes adieux le lendemain à Anna. Je ne lui donnais pas de raison à mon départ après tout, jamais je ne lui avais dit que je resterais. J’espérais qu’elle ne retourne pas à la grotte et ne voit pas que le mur avait été détruit. Elle devinerait que c’était moi et m’en voudrait. J’eux un pincement au cœur en partant, je m’étais presque attaché à cette vie simple. Presque car je restais un citadin dans l’âme et mon but ultime n’avait pas changé : retrouver Lolita. J’avais depuis longtemps rendu ma voiture de location aussi je partis à pied jusqu’au village où je trouvai une âme charitable pour me conduire à la gare et de là je pris le train vers la civilisation.

Je retrouvais le vacarme des voitures et des marteaux piqueurs, l’odeur de goudron, et ma vue fut agressée par la multitude des panneaux publicitaires. Le petit pécule versé par les enfants d’Anna pour mes services me permit de louer une chambre et, une fois installé, je sortis de ma poche la liste que je connaissais maintenant par cœur. Darkness, Constance, Knowledge.

Knowledge. La serveuse punk. Je suis retourné dans le bar où elle travaillait, sans résultat. A l’adresse mentionnée, je suis tombé sur un couple d’hommes qui m’ont dit avoir loué l’appartement depuis peu par une agence. Je retrouvais le propriétaire qui me donna le nom de l’ancienne locataire qui se trouvait être en effet une certaine Elisa Knowledge qui était partie sans laisser d’adresses. Bien sur, nul mention de ce nom dans l’annuaire. Mais il me restait une carte à jouer, celle de la chance. Je voulais retrouver Knowledge et si vraiment il y avait des puissances supérieures qui pouvaient m’aider je devais être capable de m’en servir. Je l’avais déjà prouvé.

Je repris mon annuaire, pris d’une soudaine intuition. Lolita comme nom de famille je cherchai en ville, dans les communes alentour. Je refis la même recherche avec Katarina Juste. Sans succès. Je fermai l’annuaire et donnais un coup de poing dessus pour me défouler avant de lire la date. Il était vieux de deux ans. Rien à espérer.

J’attrapais ma veste, descendis et fis quelques pas jusqu’au cybercafé. L’annuaire était mis à jour sur Internet et je pourrais facilement élargir ma recherche sur un périmètre plus large. Je recommençais mes recherches. Katarina Juste d’abord, sans résultat. Lolita ensuite en nom de famille. Bingo, Justine Lolita et comme par hasard, quasiment à coté de l’appartement de Darkness. Comme le monde est petit. Je profitai du temps restant pour élargir mes recherches sur Knowledge, sans succès et partis pour l’appartement de Lolita et m’arrêtais devant un bel immeuble en pierre où je trouvai écrit, parmi les autres noms, celui de Lolita en évidence dans la liste de l’interphone. C’était si facile, à croire qu’elle me narguait. J’approchais mon doigt et au dernier moment, je me retins. Qu’est ce que j’allais faire ? Est ce que je ne risquais pas de me faire massacrer par une poupée de chiffon en faisant ça ? Ou pire, n’était ce pas dangereux pour Lolita ? Et si je gâchais tout en y allant les mains dans les poches ?

Je fis demi tour. Tout ce temps je l’avais consacré à en savoir plus. Si je voulais sauver Lolita, je devais être mieux préparé

***

Je décidai de trouver Knowledge, pas de la chercher, de la trouver. C’était l’amie de Lolita et par là une alliée potentielle de poids. J’allais moi aussi jouer sur leur propre terrain. La tâche s’avéra ardue tous les jours, j’allais jusqu’à l’appartement de Lolita espérant l’apercevoir, juste pour être sûr qu’il s’agissait d’elle. Je tournais en rond en bas de l’immeuble, parfois je m’approchais de l’interphone et repartais me promettant que le lendemain, je ne viendrais pas.

Le printemps est arrivé et je comptais profiter du retour des beaux jours avec Lolita mais je ne ferais pas l’idiot. J’ai remis mes lunettes de soleil, j’ai passé la main dans mes cheveux et continué à avancer sans me préoccuper de la boue qui maculait déjà le bas de mon pantalon. Si j‘avais su où j ‘irais, j’aurais mis d’autres chaussures. Je n’étais pas loin de la ville pourtant, je me serais cru en pleine forêt. Je commençai à désespérer. Des semaines que je suivais cette piste, toujours pour me retrouver le bec dans l’eau. Lolita m’avait dit un jour de ne jamais jouer avec des personnes ayant plus de chances que soi. Pour elle, c’était un jeu. Je songeai à rentrer chez moi mais non, je devais rester encore. Quelque chose en moi me le soufflait. Quelque chose que j’avais appris à écouter. Sans doute était-ce encore une mauvaise piste. Je recommençai à avancer en marmonnant toujours comme le faisait Lolita qui chantonnait des comptines quand elle se concentrait sur son intuition.

« Bonjour. Je peux marcher avec toi ? »

C’était une femme, la trentaine, cheveux châtains derrière les oreilles, un Ipod autour du cou, un écouteur dans une oreille l’autre pendant sur sa poitrine.

Je fronçai les sourcils. J’attendais quelqu’un d’autre ou du moins je l’espérai et, je l’avais exigé plus fort que jamais, ma chance devait me la mettre sur mon chemin « On se connaît ? »

La jeune femme ne répondit pas, concentrée sur ses pas pour les mettre aux mêmes rythmes que les miens comme s’il s’agissait là d’une manœuvre fort complexe. Elle était jolie et elle avait un air de déjà vu. Je ne cherchais pas à me rappeler. Elle pouvait marcher à coté de moi, le parc était à tout le monde mais j’avais travaillé dur depuis plusieurs semaines pour trouver la piste de Knowledge.

Je repris ma marche et elle resta à mes cotés, les mains dans son pantalon de jogging trop large, sautillant à petites foulées ridicules. Elle s’arrêta un instant. Je la laissais derrière moi sans regret mais au bout de quelques enjambées elle se retrouva à mes cotés. Elle avait attaché ses cheveux à la va vite dans un élastique. « Tu n’es pas venu pour me voir ?

- Je ne pense pas non. »

Elle tritura son Ipod, replaça ses écouteurs et une cacophonie arriva jusqu’à moi. « Je m’appelle Knowledge » dit elle s’arrêtant soudain et me tendant la main.

Je me tournai et l’observais. C’était bien elle que je cherchais mais même en y regardant de prêt je ne voyais pas de ressemblance.

« J’attends quelqu’un de ce nom mais je me souviens d’elle comme une fille qui se maquillait comme une pute et avait des cheveux orange et turquoise dressés sur la tête ».

Elle se passa la main dans ses cheveux châtain et se gratta la tête « Je suis pas sûre que c’est un compliment. » elle réfléchit « Mouai. En fait non. J’avais la tête rasée à l’époque. C’était une perruque. Mais peu après, je me suis dit : merde ma fille. C’est trop tard, fallait y penser avant. Et puis ça change quoi au fond ? Hein, je te le demande. Quand t’as une pouffiasse qui t’en veux, elle trouve un moyen. »

Je me remets à marcher. Elle aussi. « Je veux retrouver Lolita. » Lui dis-je

« Lolita houai ». Elle acquiesce. « C’est une brave fille. Elle m’a sauvé la mise. Elle a un appartement. Attends, j’ai son adresse quelque part. Elle s’arrête et se met à fouiller au milieu de dizaines de bouts de papier chiffonnés dans un minuscule sac orange vif.

- Je la connais. Je l’ai trouvée.

- Ho. Tu as eu de la chance.

- Si c’est comme ça qu’on dit, j’ai trouvé son adresse sur les pages jaunes.

- Oui, ça marche aussi »

On se remet à marcher

« Moi je suis sur liste rouge. Tu y as été ?

- Où ?

- Chez Lolita

- Non.

- Pourquoi ?

- Peut-être parce que ça me tuerait. Il y a une bande de dingues qui me menacent avec une poupée de chiffon.

- Moi aussi, c’est le genre de raison qui me fait flipper. Cela dit. Je ne pense pas que ta vie soit en jeu. S’ils te tuent, ils n’ont plus de moyens de pression sur elle. Non, ils peuvent te mutiler, te faire souffrir de mille façons. Constance a beaucoup d’imagination. L’imagination ça compte, le savais-tu ? L’aiguille, ce n’est qu’un support mais l’imagination. Ca, c’est puissant. »

Ok, j’avais en effet bien fait d’attendre. Cela dit après plusieurs mois passés avec une vieille inquisitrice ma patience était à bout et l’extravagance de Knowlege qui, tout en parlant de façon incohérente, ne pouvait s’empêcher de sautiller portait sur les nerfs.

- La ferme Knowledge. Tu peux m’aider. »

Elle s’arrête, fronce les sourcils. Je m’immobilise à mon tour et me retourne

« J’aime pas trop qu’on me parle comme ça ».me dit-elle

Elle avait raison, ce n’était pas comme ainsi que j’obtiendrais de l’aide et c’était la dernière personne vers qui je pouvais me tourner avant de me jeter dans la gueule du loup en martelant la porte de Lolita « Je suis désolé ». C’est vrai, je l’étais. J’étais à cran. Je ne dormais plus, je passais des heures au coin de la rue où habitait Lolita juste dans l’espoir de l’apercevoir.

« Tu ressembles à ton frère.

- Pardon ?

- Soulsand, tu lui ressembles. Mais pas pareil. Enfin je veux dire que tu lui ressembles mais Soulsand, je l’aimais comme une folle. Tandis que toi, c’est pas pareil. Enfin, je ne veux pas dire que je ne t’aime pas. Je ne te connais pas.

- Il s’appelait Lucas.

- Pardon ?

- Soulsand, il s’appelait Lucas. » Tout en disant cela je serrais ma liste en papier au fond de ma poche. C’était une des dernières choses que mon père avait dit avant de mourir.

- Ho. Moi aussi j’ai eu un nom, je crois, quand j’étais petite. Je ne m’en souviens plus. Ou alors je n’ai pas envie de m’en souvenir. Bref, c’est par ici. Elle me prit la main et me désigna une sortie du bois.

- Qu’est ce qu’il y a par ici ?

- Tu m’as demandé de t’aider. Crois-tu vraiment que je peux t’aider juste en faisant dix fois le tour du bois ? J’te jure. T’es pas normal toi. »

Le culot ! Parce qu’elle l’était elle sans doute. Je la suivis. Elle appuya sur sa clé de voiture et me désigna le côté passager. Je pris place dans une voiture de sport tape à l’oeil. « Jolie voiture.

- Oui, j’aime bien les voitures. Ca se conduit bien. J’aime bien les motos aussi. Enfin tout ce qui va vite. Quoiqu’en ville, le métro, c’est plus pratique. Je songe à déménager. Je voudrais m’acheter une baraque à la campagne. Tu sais, un truc tranquille. D’un autre coté, la ville c’est bien aussi. En attendant, quand ça me prend, j’me casse pour un week-end à la campagne ou je vais jusqu’à la mer. J’y vais à fond. Ils peuvent me donner toutes les contraventions du monde, je m’en fous, je les fais sauter.

- Et le reste du temps, tu fais quoi ?

- Pas mal de chose. J’aime bien les jeux vidéo, ça me détend et je fais de la déco dans une association de quartier. Macramé, peinture sur soie, ce genre de chose, mais j’en ai un peu marre là. »

D’accord. Ce n’était pas vraiment la réponse que j’espérais.

Elle s’arrêta devant un immeuble et me désigna la boite à gant. Tu devrais trouver le boîtier de commande du garage là-dedans. »

Je le trouvai et appuyai.

« On est où ici ?

- Ben, on est chez moi.

- J’ai cherché pas mal de temps ton appart. »

« Celui qui serait capable de trouver le nid douillet de Knowledge n’est pas encore né » dit-elle fièrement. « C’est que je le protège mon chez moi

- Ce n’est pas dangereux ?

- Pour toi ? Non, je ne pense pas.

- Je veux dire ton appartement n’est pas surveillé ? » Elle hésite, se mort la lèvre « Pas trop. Ca va. Enfin je crois.

- Et moi ?

- Toi, il y avait un mec qui te suivait mais il lui est arrivé une merde. Au sens propre. Des problèmes intestinaux quoi. Enfin, je ne suis pas sur qu’on puisse parler de sens propre dans ce cas. Disons dans un sens pas métaphorique mais au fond, je ne suis pas certaine qu’il t ‘espionnait mais ton retour en ville n’est pas passé inaperçu. Tu étais chez la mère de Darkness c’est ça ? »

Super et moi qui m’inquiétais de ma couverture. « Comment le sais-tu ? »

Je l’ai entendu dire. Une nièce de Darkness je crois. La vieille folle lui a dit qu’un certain Tony lui donnait un coup de main. Pas discret de se présenter sous son vrai nom.

C’était trop beau d’imaginer qu’elle aurait oublié son nom à chaque fois qu’elle avait parlé de lui à sa famille.

« Darkness a dû passer voir mais je crois que ça l’a plutôt fait rire ». Continuait-elle « L’héritier Witches qui récure les bouses dans l’espoir que maman lui livre ses élucubrations démoniaques, a-t-il dit.

C’est là. » Ajouta-t-elle désignant une porte.

D’accord, je m’étais fait abuser du tout au tout. Je croyais trouver des réponses pour doubler Darkness mais je ne faisais que jouer les serviteurs de sa mère pour peu de réponses et durant tout ce temps tandis que Darkness se moquait de lui dans son bel appartement.

Elle inséra la clé et me fit entrer dans un appartement bien éclairé. Pas étonnant que je ne l’ai pas trouvé, jamais je n’aurais imaginé ça d’elle. Je cherchais une punk déjantée pas une fille qui fait du macramé dans un quartier bourgeois et conduit des voitures de sports « C’est joli chez toi.

- C’est vrai, ça te plait ? Je ne reçois pas beaucoup, je n’ai pas d’amis mais j’aime m’occuper de la décoration. J’aime bien faire des trucs moi-même. » Elle était toute excitée juste parce que j’avais dit un mot gentil. Knowledge, c’était l’opposé de Lolita. Elle était aussi joyeuse que Lolita était mélancolique. Le jour et la nuit. Elle m’emmena dans la cuisine me montrant des paniers en osiers qu’elle avait fabriqués, des guirlandes de petits lapins en tissus puis des fauteuils qu’elle avait recouvert de tissus assortis aux rideaux qu’elle avait peints elle-même. Ensuite elle me proposa du thé tout en s’excusant de ne pas avoir de café en expliquant qu’elle n’aimait pas ça et répétant qu’elle ne recevait pas beaucoup mais qu’elle devrait tout de même s’acheter une cafetière car c’était plus gentils si quelqu’un venait ne fut-ce qu’un voisin même si aucun voisin ne venait jamais. J’acceptais son thé. Je n’aimais pas ça mais je voulais lui faire plaisir, je voulais qu’elle m’aide. J’avais une nouvelle vengeance à prendre contre Darkness. Je ne comprenais pas qui était cette fille si simple, fragile et un peu dérangée.

« Vraiment pas mal pour une serveuse de bar.

Elle se prit d’un rire gêné. Tu as vraiment cru que j’étais serveuse dans ce bar ! Quoique, en y pensant, il n’y a pas de mal, c’est un boulot comme un autre. Et ce n’est pas le pire rôle que j’ai endossé. » Sans transition, elle se mit à parler de mon frère. Elle disait qu’il aimait sa façon d’arranger son appartement et qu’ils songeaient à vivre ensemble. Qu’ils voulaient même se marier. Qu’il lui avait parlé de son père. Il disait qu’il voudrait aller le voir et qu’il la présenterait puis qu’ils feraient un vrai mariage avec beaucoup de monde et qu’elle se faisait des trips en essayant des robes de mariées, de grandes robes blanches avec des traînes, des voiles, et tout le bordel. « Enfin, comme une vraie famille. Tu aurais pu être mon beau-frère. Ca aurait été marrant. Je t’aurais appelé le beauf et on se serait fait des bouffes le dimanche avec les enfants. Parce qu’on voulait des enfants. Et on m’appellerait madame Witches ou madame Soulsand. A voir. Ca aurait été comique.

Elle soupira en souriant, perdu dans ses rêves. Je pouvais comprendre ça. Je ressentais la même chose en pensant à Lolita.

« Et pourquoi ne l’as-tu pas fait ? »

Elle me resservit du thé. « Tu sais, c’est difficile. Il fallait préserver l’anonymat de monsieur Witches. On avait peur de lui causer du souci. Du genre où on se retrouve assassiné dans les parcs. Enfin tu sais quoi. »

Oui, j’en avais eu un petit aperçu.

« Et puis un jour Soulsand a décidé de tout plaquer quand même. Et voilà. C’est dur car je me dis que c’est de ma faute. Il voulait qu’on vive tous les deux, qu’on ait des enfants, une vie normale quoi. Mais loin de tout cela. Il n’allait pas trop bien dans sa tête. Un peu comme Lolita qui voulait le beurre et l’argent du beurre tout en se tapant le crémier. Tu vois ce que je veux dire. Je lui avais dit que c’était une mauvaise idée mais je culpabilise quand même. Je me dis que sans moi, Soulsand se serait sans doute moins pris la tête et qu’il n’aurait pas voulu se la jouer en solo et qu’il serait toujours vivant.

- Je me dis la même chose avec Lolita. C’est de ma faute si Darkness l’a retrouvé.

- Tu sais, il valait peut-être mieux. C’est pas sain de vivre en cavale ainsi. Elle n’était pas bien notre Lolita quand on l’a récupéré

- Oui sans doute mais c’était son choix.

- Son choix, un bien grand mot. Un trip à la con oui. Une scène de ménage qui tourne mal alors on plaque tout. On fait l’escalade de merdes et on fait trop la fière pour avouer qu’on avait tort.

- Qu’est ce qu’on lui fait faire ? Et c’est qui ce on ? C’est qui votre patron ? »

Elle commença à s’affoler. « Je ne sais pas moi. On reçoit des ordres, on fait ce qu’on nous demande et on n’en parle pas entre nous. C’est tout. Mais, je crois qu’elle a trouvé un arrangement pour faire des trucs plus sympa. Bien sur, je récupère le sale boulot que personne ne veut mais ça fait dix ans que je me le tape et au fond, je m’en fous. Je lui dois bien cela. »

Je soupirai et m’appuyai contre le dossier du fauteuil. Harceler cette pauvre fille qui était sans doute bien plus dangereuse qu’elle n’en avait l’air n’était pas judicieux mais il me fallait le fin mot de cette affaire et de suite.

« Knowledge » lui dis-je doucement en lui prenant les mains pour qu’elle arrête de se les tortiller. « Je dois savoir ce que vous faites tous.

- Parce que tu ne le sais pas ? »

Je lui lâchais les mains d’étonnement. « Non lui dis-je comment le saurai-je ?

- Par ton père. »

Evidemment. Pendant une seconde je maudis le père que j’avais tant admiré et qui ne m’avait jamais suffisamment fait confiance pour me parler.

« Non il ne m’a rien dit. Je n’ai que toi. S’il te plait Knowledge dis-moi.

- Anna ne t’a pas dit qu’on s’adonnait à la sorcellerie ?

- Si et que vous aviez vendu votre âme au diable ».

Elle ne saisit pas l’ironie de mes propos. « Non » s’exclama-t-elle « C’est totalement faux. Je ne sais pas exactement comment tout a commencé. C’est Thymothy qui a découvert un livre dans une grotte. Paraît que personne ne pouvait le lire sauf lui. Il disait que c’était un recueil de sorcellerie. Soulsand me disait qu’au début, c’était un jeu pour eux. Il ne croyait même pas que Thymothy pouvait lire le livre. Il pensait qu’il inventait de nouveaux jeux mais avec ces jeux ils ont appris à maîtriser des incantations pour soumettre les puissances supérieures, puis les potions et le vaudou. Quand ils ont compris vraiment ce qu’ils avaient entre les mains ils ont décidé de partir faire fortune. Ca a marché, plus ou moins. Thymothy, Soulsand, et Darkness ont roulé leurs bosses quelques années bientôt rejoint par Lolita qui s’était entiché de Darkness. Je ne les ai rejoint plus tard quand ils s’étaient déjà installé et qu’ils travaillaient pour le gouvernement.

- Le gouvernement ?

- Oui. On nous donne des missions et on est payé. Bien payé.

- Qui on ? Quelles genres de missions ?

- Thymothy sert d’intermédiaire.

- Quoi ! Tu veux dire que vous ne savez même pas pour qui vous bossez ! Et je suppose qu’en plus vos missions sont tout à fait illégales !

- Non ! Du moins, pas vraiment. Disons qu’on emploie nos moyens spéciaux mais c’est pour une bonne cause. Un peu genre services secret.

- Le genre de service qui va jusqu’au meurtre.

- Parfois mais pas souvent. De l’espionnage plutôt pour récolter certaines informations. Infiltration dans divers milieux et parfois quelques menaces mais toujours pour une bonne cause.

- Ha oui, quelles genres de causes ?

- Une cause légale. »

Si jusque là elle parlait encore avec son petit air gêné, mais sur ces dernier mots elle avait viré à l’agacement. J’en avais appris plus aujourd’hui que durant ma vie entière. Il ne fallait pas que je perde ma source d’information en la pressant.

Je fis semblant de me détendre, demandai un autre thé, feignant de l’apprécier. Me levai pour admirer la vue de la fenêtre du salon. Elle en profita pour venir à mon coté et me désigna le manège qui dépassait derrière les arbres.

C’était vraiment une pauvre fille naïve qui s’était fait embobiner. Je pensai à lui demander comme elle avait rencontré les autres mais je remis ma question à plus tard.