Knowledge se frappa les mains avant de se frotter les paumes l’une contre l’autre. « Bon, on s’y met. On va essayer de supprimer le sortilège de cette gamine ». Dit-elle soudain.
Mon corps se rappela la douleur ressentie et le sourire pervers de Constance.
« Tu peux l’empêcher de me faire du mal avec sa poupée ? »
Elle me détailla en hésitant et s’affala a nouveau dans son fauteuil. « Tu sais, la Comtesse. Miss Teigne. He bien, elle m’avait prise en grippe. Comme ça, sans raison. Elle n’arrêtait pas de m’insulter. Un jour, je m’étais cassé un ongle et elle me l’a chopé. Comme ça. J’ai commencé à paniquer. Car les ongles, c’est le plus dur à trouver. En général, même sans être parano, je les brûle dès que je me les coupe. Les cheveux, c’est facile. On en perd partout alors après, je me méfiais d’elle comme de la peste. Et tu sais comment elle a fait pour le sang cette salope ? Elle m’a pisté aux chiottes quand j’avais mes règles. Elle l’a récupéré sur un tampon. Encore une injustice pour nous les femmes. Evidemment, ce n’est pas un truc qui peut arriver à un mec ça. Enfin, là n’est pas la question, c’est mal. Déjà, faire ça entre nous, c’est pas bien et surtout comme ça. Evidemment elle s’est mise tout le monde à dos. Mais elle s’en foutait. Elle se la jouait style princesse dans son château avec ses œuvres caritatives et tout le bordel.
- Attends, si je comprends bien, le coup de la poupée, il faut des ongles, des cheveux, et du sang ?
- Oui.
- C’est pour cela que vous avez mis ces échantillons dans votre pacte ?
- Oui. C’est une façon de dire nous sommes tous réuni et on se fait pas des crasses dans le genre. Mais miss Teigne, elle n’a jamais voulu adhérer à ça. Ho non, elle faisait sa fière.
- Et elle n’a jamais été rechercher ses échantillons ?
- Elle ne sais pas où ils sont tu penses. En plus, ça porte malheur.
- Je suppose que quand tu dis que ça porte malheur, ça veut vraiment dire que ça porte malheur.
- Ben oui, qu’est ce que ça voudrait dire d’autres ?
- Non, laisse tomber.
- T’es vraiment bizarre toi. »
Oui, j’étais sans doute bizarre. Bizarre comme un pauvre bougre qui s’enfonçait dans un monde qui ne devait pas exister pour une fille qu’il n’aurait sans doute jamais.
« Et donc, toi, tu t’es trouvé sous l’emprise de la comtesse ?
- Oui.
- Mais tu as réussi à t’en sortir.
- Oui.
- Comment ?
- Elle est morte.
- Hein ?
- La comtesse, elle est morte. Ca a mis fin au sortilège.
- Tu veux dire qu’il faut que je tue la petite Constance.
- Oui. Elle se reprit et secoua la tête. Mais non, bien sur que non. En plus ce n’est pas une mauvaise fille. Enfin je ne la connais pas depuis longtemps car on m’a un peu mise au rebut après les histoires de Soulsand. Mais maintenant, ça va. Elle a même signé le pacte.
Enfin, ce n’est pas la question. La comtesse m’a eu. Puis Lolita est venue me voir. Tu sais, tu étais là. Elle avait déjà réussi à avoir du sang et des ongles de la comtesse. J’ignore comment car c’est le plus difficile. Bref, je sais qu’après, elle est partie avec toi chercher des cheveux et que ça a mal tourné. Mais elle a réussi et elle m’a sauvé. Elle m’a vengé. Tu vois, Soulsand, il est peut être mort mais au moins il ne se laissait pas aller et Lolita non plus. Et moi, je reste comme une chiffe molle à me terrer car j’ai peur de bouger le petit doigt. Je ne suis pas très doué, tu sais. Mais maintenant, je suis libre. Enfin, dans une certaine mesure. Disons que je n’ai plus la Teigne sur le dos. J’ai encore les autres bien sur mais tant que je fais ce qu’ils veulent et que je ferme ma gueule, on s’entend pas trop mal. Et Lolita, elle est malheureuse, parce qu’elle t’aime bien. Peut-être un peu comme moi j’aimais Soulsand mais pas pareil. Et tu vois, je reste assis mon cul sur une chaise et... » Elle fait un grand mouvement avec les bras et puis plus rien.
« Je ne vois toujours pas ce que tu envisages ».
Elle se lève et me fait signe de la suivre. J’entre après elle dans une chambre qui devait servir de bureau. Un ordinateur et le matériel qui va avec, quelques dossiers. Elle ouvre un placard révélant quelques flacons, divers instruments que je ne connais pas puis se remet à parler en fouillant parmi les flacons « Tu vois, moi, je ne suis pas très douée. Et Miss Teigne, elle était vraiment vicieuse. Elle l’a préparé son sortilège. Elle a dû bien mettre six mois à le concocter se prélassant en imaginant la tête que je ferais sans doute. Mais ce genre de truc, ça peut se craquer. Lolita en avait fait un sur Thimothé avant de s’enfuir. Un beau aussi. C’est pour ça qu’elle n’a pas été poursuivie. Elle les tenait au chantage. Je lui avais dit que ça lui retomberait dessus, mais elle ne m’a pas écouté. De toute façon, personne ne m’écoute jamais Darkness a finalement réussi à le craquer mais il aurait été bien plus vite s’il avait voulu. Mais il n’est pas méchant et puis il est amoureux d’elle. C’est juste qu’il fallait vraiment qu’il récupère Lolita parce que Thimothyé a dit qu’en haut lieu ça commençait à s’énerver.
Alors moi, je me suis dit : il fait faire un sortilège par une gamine. En plus, elle concocte ça en même pas 24 heures. C’est que ça ne doit pas être bien violent à craquer. C’est pas méchant si vraiment ils voulaient te tenir, ils t’aurait concocté quelque chose de plus costaud. A mon avis, c’est plus une sorte de bizutage. Soulsand aurait aimé. Tu sais, je ne suis pas très doué mais je suis Knowledge. Je connais beaucoup de chose.
- Alors tu t’y mets ? ».
Elle me regarde, effarée. Une collection de tubes à essai dans les mains. C’est vrai que j’étais un peu dure avec elle. Mais elle parlait, parlait. Et je ne comprenais rien, ou alors je ne voulais pas comprendre. Elle dissertait sans cesse de choses qui ne peuvent exister et auquel j’étais obligé de croire. C’était dérangeant.
Elle finit par tirer vers elle une petite table basse et y posa sa sélection de tubes.
« Et maintenant, on fait quoi ?
Elle me regarde fixement, assise en tailleur devant la petite table : « on se met à poil et on danse autour de la table.
- Tu plaisantes ! »
Elle éclate de rire. « Evidemment, je plaisante, ce que tu peux être bête. On va décortiquer les choses une a une. D’abord, il me faut une incantation.
Elle me regarde comme si je pouvais lui sortir ça. » Qu’est ce que tu veux que j’en sache. J’en connais pour maîtriser le hasard. Lolita les ressassait sans cesse. Pour le reste, que dalle.
- Putain, tu étais là, tu l’as bien entendu la Constance. Elle n’a pas dit un truc, une phrase, un poème ou juste un mot qui se répétait ?
- Elle chantait.
- Alléluia, on avance. Elle chantait quoi ?
- Je n’ai pas fait attention et c’était il y a des mois, une comptine je crois. »
Elle pointe un doigt vers moi « première erreur, toujours faire attention. Même avec ton meilleur pote. Alors, quelle chanson ?
- Je ne sais pas. » Je tentai de me remettre ce jour horrible en mémoire. J’avais la gueule de bois, l’estomac dans les talons et une migraine épouvantable. Lolita était là et Darkness est entré avec son air triomphant suivi de la vicieuse petite fille avec sa poupée qui chantonnait. « Une musique de dessin animé je crois. Walt disney.
- Lequel ?
- Je n’en sais rien, j’ai passé l’age. Ca parlait d’anniversaire.
- Mauvaise excuse. Elle aussi a passé l’age mais on va partir de là ». Elle se relève et file vers son ordinateur. « On disait parole de chanson walt Disney Anniversaire. Rechercher dans tout le web. « C’est parti.
- Vous avez une façon bizarre de faire de la sorcellerie. »
Elle me lance un regard pervers. « Tu aurais préféré danser nu autour de la table avec moi n’est ce pas ? »
Je me surprends à sourire. Non, je n’aurais pas aimé mais je commençais à comprendre pourquoi quelqu’un de ma famille avait pu s’enticher de cette fille. Il fallait la connaître.
« Mon père savait-il aussi tout cela.
- Je crois qu’il s’y était mis un peu comme toi en tâtonnant dans l’espoir de retrouver Soulsand et Lolita a sûrement dû lui apprendre certains trucs. »
Elle ne trouva pas directement. Elle fut obligée de passer en revue une bonne partie des dessins animés et leurs chansons. « Alice au pays des merveilles » dit-elle soudain. « Un joyeux non anniversaire du chapelier fou ». Elle se mit à chantonner.
« C’est ça oui.
- Comment n’y avais-je pas penser » dit elle en s’applaudissant, « je la connais.
Ensuite elle me fit délimiter les paroles exactes utilisées. Je pense les avoir retrouvées. Je lui demandais tout de même si elle ne pouvait pas en avoir changé une partie. Je n’étais pas absolument sur. Elle me regarda, me lançant une grimace. « Ce ne serait pas du jeu ça. » Je n’insistais pas. Elle imprima le texte et le relut. « …Un joyeux non anniversaire. Soufflez très fort sur la bougie et le vœu s’accomplit
C’est bien trouvé. Elle me plait la petite Constance. J’aurais dû m’en douter c’est tout à fait son genre cette histoire. Le lapin blanc, le chat qui parle tout ça.
- Le petit ange » dis-je avec ironie.
« Tu es dur avec elle. Elle n’a pas eu une vie facile tu sais. A vrai dire personne n’a eu une vie facile.
- Une petite fille qui n’hésiterait pas à me tuer.
- Mais non, elle joue c’est tout. Tu vois le mal partout »
Je ne répondis pas. « Bon, on fait quoi maintenant ?
- On se fait à manger. J’ai faim.
- On ne peut pas finir d’abord ?
- Hé, rêve pas, ça ne se fait pas en quelques heures un truc pareil. Il ne suffit pas d’un brin de chance, là. Tu joues au pays des grands même si c’est contre une petite fille. »
Elle partit dans la cuisine en chantonnant la chanson du chapelier fou. Et je me dis que, ce qu’Alice avait dû ressentir en arrivant au pays des merveilles ne devait pas être loin de se que je ressentais ici.
Je restai une semaine chez Knowledge. C’était une gentille fille. Paumée, pas très intelligente, vraiment très naïve, mais gentille. Elle m’a montré quelques tours. C’était exactement ce que me disait mon père. Manier des puissances dont au fond elle ne connaissait rien. Avancer en tâtonnant en espérant que ça ne vous saute pas à la gueule. Je connaissais le hasard. Elle. Elle évoqua aussi le temps, l’espace et l’énergie qui nous entoure. Elle m’impressionnait et me faisait peur en même temps. Mais elle concluait toujours par ses mots. «Je ne suis pas très douée, tu sais » Qu’est ce que ça devait être les autres.
Je lui avais demandé si elle n’en avait jamais profité pour gagner quelques paris.
Elle m’a regardé avec son air désespéré pour répéter. « T’es vraiment pas normal toi. Tu sais combien je gagne ? Qu’est ce que j’en ai à foutre de gagner trois sous. Et surtout, nous n’avons pas le droit de jouer. »
Un téléphone sonnait. Mes yeux se portèrent sur le réveil. 10h30. Ca faisait longtemps que je n’avais pas si bien dormi. C’était chez les méchants que je dormais le mieux pensai-je. Voila que je me sentais en sécurité alors que j’étais justement chez une de celle qui travaillait pour mes ennemis inconnus.
Cette idée me fit sourire. Le téléphone sonnait toujours. Knowledge était-elle pire marmotte que moi ? Il faut dire que, la veille, nous avions bu un peu plus que de convenance. Sans doute ne voulait-elle juste pas répondre. C’était bien son style. Je me levai. J’ouvris plusieurs portes sans la trouver. Cet appartement était un enchevêtrement de petites pièces. Il ne payait pas de mine mais était en réalité immense. Surtout pour une personne seule et vu le prix au mètre carré dans ce secteur du centre ville.
Le téléphone sonnait toujours. « Knowledge ? » Appelai-je. Je n’aimais pas l’appeler ainsi. J’aurai voulu avoir un vrai prénom à lui donner. Elle n’avait pas voulu me dire le sien. Elle disait qu’elle ne s’en souvenait pas. La boite au lettre était au nom de Béatrice Knowledge. Une fois je l’ai appelé Béatrice, elle n’a pas répondu j’ai réitéré et elle m’a demandé pourquoi je disais ça. « Ce n’est pas ton prénom ? » ai-je demandé.
« Bien sur que non.
- Alors comment est-ce ?
- Appelle moi Knowledge.
- Pourquoi vous donnez-vous tous ces surnoms ? »
Elle a haussé les épaules.
« Parce que tu crois que ton père s’appelait vraiment Witches ? »
Ca ne m’avait pas donné la réponse mais ça m’avait coupé l’envie d’insister. Je l’avais cru durant longtemps.
Elle avait fini par me raconter son histoire après un bon dîner et quelques verres. Elle avait intégré cette bande de cinglé à 13 ans. Elle n’aimait pas que j’utilise le terme de bande de cinglé. Au fond, elle se sentait bien là-dedans. Elle disait qu’au moins elle n’avait pas eu à s’emmerder à aller à l’université, bosser pour des conneries et se retrouver au chômage. Elle disait que c’était un boulot comme un autre. Je n’avais pas encore cerné exactement quel était son boulot mais Je n’étais pas d’accord. Plus j’en apprenais moins j’étais d’accord. Elle s’infiltrait dans divers milieux, trouvait des données, des informations. Elle ne savait même pas pourquoi ni pour qui. Elle avait déjà torturé des gens avec ses petites poupées ou autres artifices issus de son imagination. Elle n’avait pas l’air d’en exprimer le moindre remord. Les soldats aussi tuent des gens. Il faut bien se défendre. Impossible de lui expliquer que c’était différent. Elle était butée comme un âne. Elle se disait fonctionnaire, elle avouait qu’il y avait quelques désagréments mais au fond, quel boulot n’en a pas. Non, le seul problème, c’était pour créer une famille. Avec Soulsand, elle ne voyait pas concilier le travail et les enfants. Quand les enfants demanderaient ce qu’ils faisaient, des bricoles dans le genre, ce serait gênant et ils ne voulaient pas qu’ils finissent comme eux. Ca n’allait pas plus loin. « Ils ont tué ton fiancé » lui avais-je fait remarquer. Oui, ça, elle leur en voulait même si elle en avait conclu que ça n’avait rien de personnel. C’était la Comtesse qui l’avait tué, c’était pour elle la seule responsable et elle était morte. La justice avait été rendue. Le téléphone sonnait toujours. Je passai devant un combiné. Je songeais à répondre. C’était naturel, ne fut-ce que pour passer le message puis ma paranoïa reprit le dessus et je laissai sonner.
Oui, elle était bizarre Knowledge. Elle n’avait pas eu une vie facile. Elle s’était fait battre puis violer par son beau-père jusqu’à ce qu’elle se décide à fuir pour vivre dans la rue. Sans ce que tu appelles une bande de cinglé, je serais morte à l’heure qu’il est, avait-elle dit. Au lieu de ça, regarde où je vis ! « Lolita aussi était une fille des rues. Ils nous ont offert une vie normale ». Parce que plus fort que tout, elle jugeait que sa vie était normale. J’avais arpenté tout l’appartement sans trouver sa propriétaire. J’avais par contre trouvé à manger. Le téléphone s’était remis à sonner. A la troisième fois, je me décidai à répondre. « Quand même » s’exclama Knowledge à l’autre bout du fil. « Tu ne sais pas te servir d’un téléphone ou quoi ? Je commençais à croire que tu étais parti.
- Désolé mais c’était un peu dangereux de répondre. Imagine si je tombe sur tes employeurs.
- La seule personne en contact avec moi, c’est Thimothé. C’est une truffe, tu l’aurais remarqué avant même d’avoir décroché.
- Pardon ? » J’avais l’impression de retomber sur ce vieux sketch du téléphone. Allo c’est toi ? Oui. Alors je décroche car si ce n’était pas toi, je n’aurais pas décroché.
Soupir interminable au bout du fil. « T’es tu demandé si c’était risqué de répondre ?
- Oui.
- Et tu t’es dit quoi ?
- Que c’était dangereux de répondre au téléphone.
Voix de plus en plus agacée. « Je ne te demande pas si c’est dangereux de répondre au téléphone mais à ce coup de fil en particulier.
- Je ne comprends pas.
- Cervelle d’étron, fie-toi à ton intuition. Demande-toi. Est-ce dangereux ça ? Et si tu penses que non, c’est que ça ne l’est pas. Putain, Tu es peut-être le frère de Soulsand mais tu ne lui ressembles que physiquement. Je fais mes compliments à Darkness pour avoir eu le courage d’accepter une apprentie. Moi je ne pourrais pas. Pas patiente. En plus, je dois me faire passer pour une femme patiente, cultivée. Genre vieille bourge quoi. Un boulot pour la Comtesse ça pas pour la petite Knowledge. Bref, je t’appelais pour te dire que j’avais dû m’absenter. Enfin, ça, j’espère que tu avais été assez futé pour le remarquer. Tu peux rester planqué chez moi. Et tu n’ouvres ou réponds que quand tu peux le faire sans risque. Et il y a de la bouffe dans le frigo. J’ai pas la TV tu l’auras remarqué. J’aime pas à cause des pubs. Pas patiente. Mais j’ai plein de divX à coté de l’ordinateur.
- Et pour Constance ?
- Ha oui, c’est vrai. Heu, tiens, tu peux finir la petite mixture. Pour la recette va dans l’ordi : mes documents, dossiers petites mixtures, puis relaxant, puis invocation et piratage. Tu as les ingrédients dans le placard et tu ajoutes celle que j’ai faite il y a deux jours. Faut que tu fasses une poupée aussi. Tu fouilles dans ma chambre, tu trouves un vieux bas, ça fera l’affaire et tu le bourres avec une petite préparation dont tu trouveras aussi la recette dans l’ordi dans la rubrique catalyseur et tu cliques Constance. Elle ne sait pas que je l’ai. Ca va la rendre folle.
- Au sens propre ? » Imaginer Constance se tapant la tête contre les murs était pour moi un spectacle dont je rêvais.
« Tu es trop bête toi. Je dois y aller, je te rappelle. »
Voila comment je passai une journée à préparer des tisanes nauséabondes. J’avais l’impression d’être revenu en enfance quand je jouais à fabriquer de la soupe aux cailloux. En fait, ça ressemblait vraiment à cela. Des jeux de gosses. Sauf que les résultats n’étaient pas les mêmes. Le téléphone sonna plusieurs fois. Je ne décrochais pas. Je ne sais pas si je l’estimai dangereux ou non. Je dirai que ça ne me paraissait pas utile. Dans la soirée, il sonna à nouveau. Je m’interrogeai de même sur le danger potentiel et l’utilité et en déduisis que celui là, je devais répondre.
« Allo ».
Pas de réponse.
« Knowledge ? ».
Rire, pas le sien. « Bonjour mon lapin blanc. Je t’ai trouvé.
- Constance !
- Bien vu. Reconnaissance ou intuition ?
- Qu’est ce que tu veux ?
- Il court, il court le lapin blanc. Il lui reste 3 heures et Aïe Aïe Aïe.
- Ce n’est pas un jeu petite fille.
- Il est en retard en retard, il a rendez-vous quelques part. 2h59. »
Elle a raccroché. La salope. Je ne voulais même pas imaginer ce qu’il se passerait dans deux heures et cinquante neuf minutes. Et Knowledge qui ne se manifestait pas. Je passai la première demi-heure à tourner autour du téléphone, espérant qu’elle ait l’intuition que quelque chose n’allait pas ici. Mais c’étaitsans doute la moindre de ses préoccupations. Je me décidai à partir à sa recherche. J’attrapai un manteau, dévalai l’escalier ne voulant pas attendre l’ascenseur et sortis. Je me retrouvais dans la nuit. L’intuition me dis-je. Gauche ou droite. Je me décidai pour gauche. Au bout d’une vingtaine de minutes et quelques croisements plus tard, je fus persuadé que je n’avancerais pas ainsi. Un taxi. Il me fallait un taxi. La rue était déserte, il faisait noir. Je commençais à cerner le truc. Supplier la chance ne servait à rien. Il fallait être ferme, ordonner. La chance se dressait tel un cheval sauvage. Un taxi passa, je lui fis signe. Il commença son baratin : « on peut dire que vous avez de la chance, d’habitude, je fais mon tour par la rue adjacente. Et là, j’ai eu envi de changer » Je réponds par une réplique que m’avait souvent sorti Lolita sans que j’en comprenne la teneur : « Je fais ce qu’il faut pour.
- Où va-t-on ?
- Vous roulez, je vous dirais au fur et à mesure.
- Comme dans un film ?
- Pareil, oui.
Il se mit à avancer. Je dois encore être un débutant au niveau de la chance. Le conducteur méritait des baffes. Il n’arrêtait pas de parler. Je ne répondais pas. Je devais me concentrer sur mon intuition. Lui était vexé. A croire que, nous seulement je payais, mais qu’en plus je devais tenir le rôle de psy. « Arrêtez-vous là ». Je désignais un bâtiment éclairé.
Il siffla. Monsieur ne va pas n’importe ou.
Sans doute. C’était une ambassade. Il y avait une réception. Et bien sur, plusieurs portiers. Je sortis et demandai au taxi de m’attendre. Il demanda une caution. Je n’avais pas un sous et il me fit perdre au moins cinq bonnes minutes supplémentaires. Je finis par lui donner ma chevalière en garanti. Il fit le difficile, cherchant à voir si c’était bien de l’or. Je le laissai à ses spéculations, afin de repartir dans ma concentration marmonnant en plus quelques incantations apprises par mon nouveau professeur. Dire que je me foutais toujours des chansonnettes de Lolita. Je ne savais pas exactement ce que je faisais. J’invoquai des puissances que je ne connaissais pas sans autre but que d’entrer. Le moyen importait peu pour moi. Il me fallut encore quinze minutes avant qu’une élégante jeune femme ne sorte et s’étale dans un hurlement au milieu de l’escalier. J’eus mal pour elle. Ce n’était pas tout à fait ça que j’espérais. Je me faufilai tandis que les gardes s’étaient précipités pour aider la femme qui semblait sérieusement blessée. C’était le problème avec la chance, on ne savait jamais sous quelle forme elle allait se manifester.
Knowledge, malgré sa totale absence de moralité apparente, refusait, sauf extrême urgence, de telles invocations. C’est toujours au détriment de quelqu’un m’avait-elle fait remarquer. Elle disait que ce n’était pas sain. Ca m’avait rappelé l’épisode ou Lolita l’avait évoqué pour avoir une chambre dans un hôtel. J’en ai parlé à Knowledge. Elle m’a dit que c’était un parfait exemple. Tu veux dire que si Lolita n’avait pas invoqué la chance. Le père du type qui nous a laissé sa chambre pour partir précipitamment à cause du décès de son père ne serait pas mort ?
Moi-même je ne me sentais pas clair. « Tu penses que c’est Lolita qui a fait tuer un innocent en invoquant la chance ?
- Qu’en sais-je ? Peut-être serait il mort de la même façon si elle n’avait rien fait, peut-être pas, peut être que sa mort a juste été avancé de quelques minutes. Quoique, quand c’est sur soi que ça tombe, ces quelques minutes, on y tient. Ou peut-être serait-il encore en vie et que donc, on peut dire que Lolita a tué un home juste pour s’amuser dans une fête de village. » Ca avait jeté comme un froid cette conversation.
Et cette femme qui se tenait la jambe en pleurant sur les marches de l’ambassade, suis-je la cause de sa blessure ? Blessure qui ne me servira à rien si je ne me dépêche pas. Je profitai de la panique pour me faufiler. J’aperçus facilement knowledge qui, assise sur un tabouret haut contre le bar, buvait une coupe de champagne dans une robe du soir, ses cheveux relevés en chignon telle une élégante femme d’une trentaine d’année. La rumeur de la blessée était parvenue à l’intérieur et se diffusait d’invité en invité tandis que les curieux se déplaçaient vers la sortie. Knowledge ne bougeait pas.
C’est à toi qu’on doit ce massacre ? » Dit-elle sans se retourner.
« Pas vraiment.
- C’est pas une réponse ça.
- Alors disons : pas exprès.
- Je t’avais dit, les invocations, c’est mal. Ca se combine toujours plus ou moins avec la poisse. Je t’ai déjà parlé de ma théorie sur les vases communiquant ?
- On philosophera plus tard, Constance a appelé, elle m’a fixé un ultimatum. Il ne me reste qu’une demi-heure.
- Une demi-heure avant quoi ? »
Elle ne me l’a pas dit, je crois qu’elle veut utiliser la poupée.
- Aïe Aïe Aïe.
- C’est ce qu’elle m’a dit.
- Tu n’aurais pas dû répondre.
- Désolé, j’ai suivi ton conseil pourtant.
Elle approuva de la tête au rythme de la musique de la salle avant de conclure. Elle est douée cette gosse. Moi, je suis qu’une merde à coté. Ca fait chier.
- Il faut que tu m’aides.
- Non pas question. J’ai à faire ici. De toute façon, je mettrais beaucoup trop de temps. Tu dois le faire toi-même, ce sera plus rapide. Tu as fait la poupée ?
- Oui.
- La tisane aussi ?
- Oui.
- OK. Tu rentres. Tu bois la tisane, tu fais l’incantation et quand tu sens quelque chose, tu mets le feu à la poupée tout en continuant les incantations jusqu’à ce qu’elle soit entièrement brûlée.
- C’est quoi les incantations ?
- Tu alternes avec la chanson de Constance et une à toi.
- Une a moi ?
- Oui, n’importe quoi. Un mot, une phrase, une citation mais quelque chose qui te parle, qui vienne de toi. L’important n’est pas ce que tu dis mais l’imagination.
Je la suppliai de venir avec moi, mais elle demeura intransigeante.
« Hé merde. Juste une chose, t’as pas du fric pour le taxi ? »
Elle me sortit quelques billets d’un petit sac à main en soupirant. La prochaine fois, appelle moi sur mon portable. Merci du conseil. Et le numéro, je le trouve où ?
Tu as bien trouvé une adresse que je ne t’avais pas donnée en venant ici.
En effet, j’aurai sans doute pu, de la même façon deviner son numéro.
« Erreur de débutant » conclut-elle. Elle fronça les sourcils « Et surtout » dit-elle. Je m’arrêtais dans mon mouvement vers la sortie. « Surtout, ne mets pas le feu à l’appart »
C’est ça oui « tu peux au moins faire en sorte que j’ai de la chance ?
- Tu sais, moi, je ne suis qu’une merde alors contre Constance... »
Je me précipitai à l’extérieur sans écouter la fin de ses lamentations, récupérai mon taxi et lui donnais l’adresse de Knowledge. Il en profita pour me décrire en long et en large l’accident de la pauvre fille. Je ne voulais pas écouter ça, je culpabilisais à mort.
J’arrivais à l’appartement dix minutes avant la fin du délai. Au moins, je n’avais pas le temps de réfléchir. Je bus la tisane acre et froide. Trouvais une coupelle et y mis la poupée. J’avais la tête qui tournait et je tremblais. Je trouvais des allumettes. J’aurais dû attendre avant de boire. L’effet était rapide et j’avais les jambes qui flageolaient. Je commençais à chantonner cette chanson débile de non anniversaire. « Souffler très fort sur la bougie et le vœu s’accomplit ». Pour moi, je ne savais que dire alors je me contentais de répéter ce qui me tenait le plus à cœur : Lolita. Je répétai, inlassablement. Je devais toucher quelque chose. Mais quoi ? Plus qu’une minute et je ne sentais rien si ce n’est une sorte de brume sans doute effet de la drogue. Et merde, plus le temps. Je craquais une allumette. Le téléphone sonna. Je laissais tomber l’allumette sur la poupée et appuyai sur la touche haut parleur tout en continuant à marmonner. « Aïe Aïe Aïe » dit une voix de petite fille avant de raccrocher. Le monde disparut aussitôt sous une chape de douleur. Je luttai pour ne pas me laisser submerger. Souffler très fort sur la bougie et le vœu s’accomplit. Lolita. Je pensais à elle, je souffrais pour elle. La poupée se consumait. Nouveau sursaut de douleur. Et le vœu s’accomplit. Mon vœu, Lolita. Et je sentis. Quelque chose. Je n’aurais su dire quoi. Les dernières braises se consumaient, je me relevais doucement tremblant encore. Comme un automate, je sortis de mon manteau la liste froissée. Constance. Une adresse, un numéro de téléphone. Je décrochai le combiné.
« Allo ? » fit une voix d’enfant.
« Tu as perdu ».
Silence. Puis à nouveau cette petite voix qui devrait être innocente « Witches ? »
Je me surpris à lui répondre gentiment « oui
- tout à l’heure j’ai gagné pour te faire décrocher. Ca fait un partout. On peut faire la belle.
- Constance ?
- Oui.
- Je ne joue pas avec les filles qui n’ont pas de poitrine