Je suis retourné voir Lolita. J’ai frappé à sa porte tel un dément et elle m’a répondu. Elle avait repris des couleurs, elle était plus belle que jamais mais elle avait perdu quelque chose. Sa mélancolie peut-être. Je l’ai prise par les épaules et je l’ai obligée à me regarder en face. « Dis-moi que ce n’est pas vrai » lui ai-je demandé. Mais ce n’était pas une demande, c’était une supplication. Elle s’est détournée. « Je n’ai jamais voulu ça » m’a-t-elle dit. Elle avait raison, jamais elle ne m’avait laissé entrevoir le moindre sentiment, je m’étais monté la tête tout seul et je souffrirai seul. Un homme est sorti d’une chambre et j’ai reconnu Darkness : « Qu’est ce que tu veux Witches ? »
J’ai serré les poings. Il voulait la guerre, il l’aurait. Comme mon père, je mettrais mon pouvoir au service de ma cause : Lolita.
« Il parait qu’il y a un job pour moi par ici » que je lui ai dit. « Je pense que ça m’intéresse et je vais te pourrir la vie ». Il a commencé à marmonner quelque chose mais j’ai croisé les bras et j’ai veillé à ce que les puissances qu’il invoquait ne m’atteignent pas. J’apprenais vite. Lolita s’est mise à gémir. Elle lui a dit de partir. La victoire était proche. Dès qu’il est sorti, j’ai pris Lolita dans mes bras. J’étais comme elle, je sacrifiais ma vie pour elle, elle ne pouvait me rejeter. Pourtant, elle l’a fait. Elle s’est écartée doucement. Elle a repris pour moi son air mélancolique. Tu disais que tu voulais fuir, que tout ici te faisait horreur.
Elle n’a pas répondu de suite. Elle s’est détourné et a regardé dehors comme elle le faisait toujours comme si mon regard lui faisait mal.
« Je suis partie parce que je voulais connaître autre chose. Je ne te l’ai jamais caché. Ton père m’a offert une nouvelle vie et je l’ai saisie avec insouciance. Je ne pensais pas rester si longtemps mais je suis resté parce que j’avais une dette envers lui.
Ses yeux s’embuèrent soudain. J’étais son garde du corps. Il m’a aidé, m’a offert un toit et son amitié et je l’ai trahi, j’ai détruit sa vie et puis je l’ai laissé se faire tuer. Il ne voulait pas que tu trempes dans nos histoires et je ferais tout pour t’en empêcher, je lui dois au moins ça.
- C’est ridicule, c’est à moi de choisir la vie que je veux mener et tu n’as trahi personne.
- Sais-tu comment ta mère est morte ?
- Oui, elle est morte dans un accident de voiture quand j’avais onze ans.
- Oui. Ies Witches devaient aller à une inauguration et je devais les accompagner mais je n’en avais aucune envie. Je venais d’être embauchée et je n’ai pas osé lui dire non et, c’était mon job de protéger la famille Witches. J’étais insouciante. Je voulais juste avoir un peu de chance pour passer une soirée peinarde. Tu sais comme j’ai horreur des soirées mondaines. J’ai juste demandé à supprimer ce dîner. »
Je connaissais la fin de l’histoire. Un chauffard avait percuté la voiture de ma mère alors qu’elle revenait de son travail. Elle était morte sur le coup. Lolita se sentait responsable de la mort de ma mère. Peut-être l’était-elle en un sens. C’était uniquement pour ça qu’elle était restée. Pour la remplacer, pour veiller sur moi. Juste parce qu’elle culpabilisait. Pas parce qu’elle m’aimait.
« Je suis désolée » dit-elle. « Je suis resté parce que tu avais besoin de quelqu’un, tu étais comme mon petit garçon et je me sentais coupable. Knowledge disait toujours qu’à jouer avec le feu, ça nous retomberait dessus mais je ne la croyais pas. Et puis, j’ai recommencé pour avoir cette chambre d’hôtel et il y a eu un autre mort et j’étais paniqué mais tu t’es contenté de dire au moins comme ça on avait la chambre comme si pour toi, ce n’était rien et je me suis dit qu’un jour tu pourrais peut-être me pardonner et c’était bien mais Darkness est revenu. Et toi, tu seras toujours mon petit bonhomme, mais je ne peux plus te protéger, tu n’en a plus besoin. J’ai reculé. Je ne pouvais plus en entendre d’avantage.
Je suis parti. Je n’en ai pas voulu à Lolita, je ne la tiens pas comme responsable. Ce n’est qu’une pauvre fille, perdue, manipulée les puissances qu’elle invoquait, bien plus qu’elle ne les manipulait. Mais c’est plus que ça, je sais qu’elle n’a rien à voir là-dedans et il y aura toujours une place dans mon cœur pour elle mais nous n’étions pas du même moule. Ce n’était qu’une esclave, une petite fille incapable de prendre sa vie en main. Une fille perdue qui ne comprenait rien et j’étais un homme libre. Libre de mes choix, libre de réfléchir aussi. Toutes les pièces du puzzle se sont assemblées dans ma tête. Lolita qui s’enfuit, Lolita qui se cache chez nous. Mais tout le monde savait qu’elle était là. Une organisation gouvernementale secrète mais qui laisse Lolita fuir, juste parce qu’elle a lancé un sortilège sur un simple intermédiaire. Le seul avec qui ils ont des contacts. C’était une histoire totalement stupide digne d’un mauvais film. Ou, d’un mauvais comix. Tout prenait forme jusqu’à la conclusion ultime la photo chez Elorie. Elle m’avait semblée familière : Timothé !
Je suis parti. J’ai loué une voiture et j’ai pris l’autoroute. Je n’étais pas pressé et je n’avais plus peur. Je n’avais aucune raison d’avoir peur. Je me suis arrêté dans une aire de repos. J’ai mangé et dormi un peu. J’ai fait un détour. Parlé à quelques personnes et j’ai gagné une tarte au pomme dans l’affaire. Quand je suis arrivé sur le campus, la nuit était tombée. Le bâtiment était presque entièrement plongé dans l’obscurité. Vieille tour délabrée tout juste bonne pour la casse. Quelques rares lumières perçaient à travers d’antiques volets. Le parking était presque vide, je me garai à coté d’une Mercedes cabriolet bleu. Je savais à qui elle appartenait et je n’en fus pas surpris. C’était les vacances scolaires, la majorité des étudiants avaient déserté. Qui voudrait rester dans cette prison en dehors des cours ?
J’entrai dans le bâtiment et commençais à monter l’escalier. Une musique rock envahissait tout le premier étage mais je n’y prêtai pas attention. Je continuais à monter, pris un couloir, passai devant des douches communes aux relents d’égouts et entrai sans frapper, espérant le prendre par surprise. Je ne tenais pas à me trouver encore face à son flingue. La minuscule chambre était déserte mais toujours aussi encombrée. Un ordinateur, monstre de technologie empiétant quasiment sur un vieux lit aux couvertures élimées. Une pile de dossier du sol jusqu’au dessus du bureaux. Une deuxième aussi importante à coté. J’avais pris ça pour des cours mais, personne n’en a autant. Partout sur les murs des posters géants de superman, Xmen et autres super héros de Comix. Des bandes dessinées des mêmes personnages étalés jusque sous le lit et un reste de pizza froide. Ca crevait les yeux, mais souvent on oublie de regarder juste devant soi et la vérité est si pathétique qu’on préfère imaginer autre chose. C’est l’imagination qui compte disait Constance, pas la vérité. Peut-être était ce pour ça que j’étais ici. Les puissances de l’imagination, je n’arrive pas à les invoquer. Je ne les comprends pas. Peut-être est-ce pour cela qu’elles n’ont pas de prise sur moi. Peut-être tout simplement ne me comprennent-elle pas. Quoique ? Mon amour n’était-il pas un piège de l’imagination ?
Je secouai la tête. C’était encore trop douloureux pour y penser. La chasse d’eau résonna dans tout l’immeuble et il arriva. Il ouvrit et eut un geste de recul en me voyant assis sur le lit. Il regarda vers moi, puis vers le couloir, comme s’il jaugeait l’action la plus opportune entre rester et filer comme un lâche.
Je lui désignai sa braguette encore ouverte. Il tira la fermeture éclair et se décida à entrer.
« Alors comme ça, tu es le beau fils d’un grand patron d’une organisation secrète ? Et bien sur, tu vis au grand jour, servant d’intermédiaire, tandis que tes parents sont tellement paranos qu’ils ne communiquent que par email. Bien sur, ta famille a une couverture hors pair, car en cherchant à partir de ton adresse, on retrouve sans problème ton nom ainsi que celui de tes parents. Le mari de ta mère qui répare des bagnoles dans un village et pour qui c’est dur car c’est la crise et ta mère : institutrice pour les enfants du village. Beau métier. Elle se désole de ne pas te voir plus souvent, se plaint que tu n’es jamais à l’adresse de la petite maison que tu lui a donné et s’imagine que tu vis en donnant des cours à l’université. Je désignai le paquet à mes côtés. Elle te fait pleins de bisous et te transmet une tarte au pomme, faite maison.
Il soupire et s’assoie sur l’unique chaise. « Houai, c’est vrai, je ne suis qu’un intermédiaire. J’ai fait croire à Lolita que j’étais de la famille du patron pour me donner de l’importance. Avec le recul, Je crois qu’elle ne l’a jamais cru de toute façon.
« Désolé, mais l’intermédiaire qui pourrit dans une piaule à rat, c’est pas plus crédible. Allez, bas les masques »
Encore un soupir. « Oui ok, t’as peut-être raison. Y en a marre de tout ça.
On était que des gosses. Il y avait Lucas et Arthur. Ils étaient collés ensemble comme deux doigts d’une même main ils avaient bien quatorze ans et puis il y avait moi. J’avais cinq ans. Le Fouineur qu’ils m’appelaient car j’étais toujours à les espionner. N’empêche que c’est moi qui ai découvert le livre. Les autres, ils se foutaient de ma gueule. Il me prenait pour un minable. Pourtant, ils n’ont jamais réussi à le lire. Ils disaient que j’inventais, mais ce n’est pas vrai. Je pouvais vraiment comprendre ce qui était écrit. Ca se lisait comme une comptine, comme un truc pour les enfants. C’était écrit dans une langue qui n’existait pas mais je la comprenais et pourtant, j’avais cinq ans. Je ne savais même pas lire. Ca, c’est fort. Ils ont commencé à me prendre au sérieux quand ils ont vu que ça marchait. Ils ont commencé à maîtriser les puissances qui nous gouvernent et ils étaient fiers. Mais tout cela, c’était grâce à moi.
- Ils n’ont pas été enlevé n’est ce pas ?
- Mais non, pas du tout. Ils ont filé. Ils se croyaient les meilleurs, les plus forts. Ils se donnaient des noms à la con, Ils voulaient conquérir le monde mais toujours ils oubliaient que, ce qui avait fait d’eux ce qu’ils étaient ; c’était moi. Et juste moi ».
Il trépignait comme un gosse. Depuis longtemps, il gardait son histoire enfuie. Il fallait que ça sorte.
« Mais je n’étais que le fouineur. Le petit merdeux tout juste bon à traduire un livre. Ils ne comprenaient pas que j’étais le plus puissant. Le plus intelligent, Mais je leur ai montré que c’était moi le plus fort. Un jour, je leur ai dis que j’étais entré en contact avec une organisation gouvernementale secrète et qu’elle voulait les recruter. Je leur ai fait miroiter un max de pognon et ils ont marché à fond. Ils se sont cassés de chez eux. Après, ils ont récupéré Lolita dans un caniveau. Une gamine à peine ado qui se prostituait pour vivre mais ils l’ont reconnue pour une des leurs. Puis miss Teigne qui elle aussi a fuit pour les suivre. Une très jolie fille mais qui s’est avérée une vrai calamité. Mais, ils avaient beau l’appeler ainsi, elle comptait nettement plus à leurs yeux que moi. Moi, j’étais toujours une merde à leurs yeux. Le petit intermédiaire. Rien de plus. Mais je les manipulais tous. C’était moi le maître en fait.
- Le puissant employeur qui vit dans une chambre universitaire.
- Hé oui. Personne n’y croit. Ce n’en est que plus crédible et je suis bien ici. J’ai des potes. On se fait des virées le samedi soir. La belle vie.
- Et comment tu payes tes employés ? »
Rire. « C’est ça qui est drôle. Ils se paient eux-mêmes. Ils ne comprennent pas la moitié de ce que je leur demande. Ils me prennent pour un con, mais je suis malin moi. Je touche à tout. Aux jeux, à la bourse. Je place de l’argent et c’est eux qui le font fructifier. Ils espionnent pour moi. Ils trouvent les bons plans sous mes directives. Quelques larcins aussi. Jamais bien méchant. Et ils favorisent des entreprises, distribue de la chance envoient quelques merdes à d’autres et mon argent fait des petites. Ensuite, je leur redistribue, j’en garde aussi pour moi et je me marre.
- Et tu leur demandes de tuer des gens pour te marrer aussi sans doute ?
- Dans un sens. Mais c’est pas vraiment méchant. L’idée m’est venue quand ils ont trouvé celle qu’on appelle Knowledge. Encore une pauvre gosse dont s’était entiché Lucas. Elle m’a donné à réfléchir elle et Lolita. De toute façon, ils ne choisissaient que des filles pour se joindre à leur bande. Et canon de préférence. C’était des pauvres filles et ce qu’elles avaient subi, c’était dégueulasse. Alors j’ai monté une lutte contre le crime. Les filles sont devenue mes espionnes et grâce à elle, j’ai débusqué quelques belles ordures qui agissaient en toute impunité et elles leur ont réglé leur compte. C’était jouissif alors, j’ai continué. Quand on a trouvé Constance, elle s’est spécialisé là-dedans. Et c’était cool. On se la jouait super héros, justicier anonyme. Oui, c’était bien. La petite Knowledge, c’était la seule qui était vraiment gentille avec moi. Alors, c’est à elle que j’ai transmis le plus de connaissance, mais elle n’était pas très douée
- Et puis, Lolita s’est échappée.
- Oui. Un peu avant qu’on recrute Constance. Elle s’était disputée avec Darkness. De toute façon, il se la jouait à je t’aime moi non plus depuis le début. .
- Et tu ne l’as pas supporté.
- Ce n’est même pas vrai. C’est que cette pute avait réussi à placer un sortilège sur ma gueule. Je me suis fait avoir comme un con. Elle me dénigrait. Elle faisait sa belle elle est Darkness. C’était le couple comme au cinéma. Amour gloire et beauté. Et moi, ça me faisait chier alors, un jour je lui ai dit que je n’étais pas qu’un intermédiaire mais que j’étais de la famille du patron, par alliance. Je me disais que ça pourrait l’impressionner. Et ça a marché. Du moins, je l’ai cru. Elle a commencé à s’intéresser à moi. A me faire les yeux doux. J’étais comme un fou, je n’ai rien vu venir jusqu’à ce que je me retrouve en son contrôle par poupée interposée.
Elle pensait sans doute que mon organisation secrète la tuerait. Stupide. Tout comme ton père qui s’était fait passer pour mort de crainte de quelque chose qui n’existait même pas.
- Et ma mère ?
- C’était un accident. Un simple accident. J’avais découvert où la pute se cachait. J’ai voulu allée la voir pour la convaincre de revenir mais en chemin, j’ai aperçu une ambulance, entourée de véhicules de police. Je me suis arrêté, j’ai demandé ce qu’il se passait. Ils m’ont dit que c’était la femme Witches et que ce n’était pas gagné qu’elle assiste à l’inauguration de ce soir. Alors ça m’a donné une idée de vengeance. J’ai téléphoné. Elle ne se méfiait pas, elle a répondu. Je lui ai dit que je savais où elle était et que je devais la voir le soir même. Elle m’a dit qu’elle bossait et je lui ai dit de se débrouiller pour se libérer.
Elle a dû croire que c’était sa faute alors qu’elle était déjà morte. Elle a dû culpabiliser à mort alors qu’elle était décédée avant même qu’elle commence ses invocations. Mais, c’était bien fait.
- Mais tu as fait tuer Soulsand, et mon père.
- Non, ce n’est pas vrai Soulsand. Il s’est suicidé. Il se sentait prisonnier, perdu mais c’était uniquement dans sa tête. Il avait pété les plombs. Et ton père, c’est la Comtesse qui l’a assassiné. Elle a fait ça de son propre chef, moi, jamais je ne voulais que ça aille si loin. Ca a dérapé. C’est vrai, je transmettais certaines menaces de mes soi-disant employeurs, mais c’était du vent. Ca ne devait pas se passer ainsi. »
Il s’effondra et se mit à pleurer. Je regardai ce vieil étudiant de trente ans passé dans son jean délavé et son tee-shirt no future.
« Il est temps que ça se termine tout ça. Ce sont des jeux de gosses. Tu as passé l’age. »
Il a serré les poings. « Non, je suis toujours jeune. Moi aussi je maîtrise le temps, à ma manière. »
Oui, il maîtrisait le temps en vieillissant dans une chambre d’étudiant pour faire croire qu’il était encore jeune. Je laissai ce pauvre gosse frustré, il ne valait même pas le coup qu’on s’y attarde.
Dans le couloir je croisai Elorie. Elle s’arrêta net en me voyant. Je lui mis la main sur l’épaule. « Et toi » lui dis-je « quel était ton rôle ? Tu devais me surveiller ? Sans doute même pas. Il ne savait pas qui j’étais. Non, tu étais chargé de surveiller Lolita. Et quitte à la surveiller, tu couchais avec moi derrière son dos tout en te faisant grassement payée.
Je n’attendais pas la réponse, je m’en fichai. Pathétique
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