« J’ai réussi.
- Cool. » Knowledge était rentrée. Elle était trempée des pieds à la tête et d’une humeur de chien.
- Que t’est-il arrivée ?
- Je me suis prise une putain d’averse sur la tête. Ca ne se voit pas ? » beugla-t-elle en dégouttant vers la salle de bain.
Ce n’était pas vraiment ce détail auquel je pensais. Je me tournai vers la fenêtre. Il pleuvait en effet. Pas très fort, quelques gouttes tout au plus mais la rue trempée luisait sous la lumière des réverbères. L’averse avait dû être violente. Je ne m’en étais pas rendu compte.
« Tu ne connais pas de sortilèges pour écarter la pluie ?
- Très drôle » envoya une voix railleuse de la salle de bain. « T’es vraiment un petit comique toi ». Elle continua à râler, ses mots se perdant derrière le bruit du sèche-cheveux.
Je haussai la voix pour me faire entendre : « Je pense que je vais y aller maintenant. »
Le sèche-cheveux s’arrêta et elle sortit enveloppée dans un peignoir à blanc. Elle fronce les sourcils. Elle se méfie « Tu vas où ?
- Je vais voir Lolita » Je ne risquais plus rien, j’étais prêt à défier la terre entière. Prêt à conquérir ma belle, Lolita.
Elle hésita, se mordit la lèvre et je pense même qu’elle se mit à rougir « Je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée. »
Ma méfiance revint doucement « pourquoi, qu’est-ce que je risque ? J’ai vaincu Constance.
- Il ne s’agit pas de toi. Mais… En fait…
Ho et puis merde. J’ai pas dit à Lolita ce que je mijotais avec toi. Elle est venue me voir, il y a quelques temps. Elle m’a dit que tu tournais autour de chez elle et qu’elle ne voulait plus te voir. Que tu devais faire ta vie et elle la sienne et que c’était mieux pour tout le monde. Je lui ai parlé de cette idée de craquer le sortilège de Constante car j’avais une petite vengeance en plan avec elle et je trouvai que c’était un plan sympa pour s’amuser un peu et en plus, je t’ai dit, j’ai une dette envers Lolita. Mais elle a refusé. Elle s’est même fâchée et elle m’a dit, si jamais tu fais ça, je te change en crapaud. » Elle s’arrêta, observa mon air décomposé tandis que je tentais d’intégrer que Lolita ne voulait plus me voir. Et comme elle ne comprenait jamais rien, elle se contenta de dire. « Il est évident qu’elle ne sait pas transformer les gens en crapaud. On est d’accord là-dessus j’espère ? Personne ne peut faire ça. » Puis elle continua son histoire. « Oui donc, elle m’a dit que ce sortilège tombait très bien, qu’il fallait que tu partes très loin tant qu’il était temps et que je devais te convaincre de disparaître ». Elle prit son air le plus gêné. « C’est ce que j’aurais dû faire, je sais bien. Mais je ne reçois pas beaucoup. Je te l’ai dit et c’était sympa d’avoir quelqu’un chez moi pour discuter, tout ça quoi.
- Lolita ne veut pas me voir ? Mais même avant de le dire, je savais que c’était vrai.
« Ho tu sais, les amourettes, ça va, ça vient ».
Je n’ai pas entendu la suite. Je lui ai claqué la porte au nez et je suis parti. J’ai erré dans la ville. Je me suis retrouvé devant l’appartement de Lolita. Tout était noir. Je suis resté là. La pluie s’est remise à tomber, je n’en avais cure. J’ai frappé à sa porte. Doucement d’abord puis j’ai tambouriné de plus en plus fort, sans succès alors je suis resté là, c’est tout. Le jour s’est levé, un jour gris et blafard qui a remplacé la lumière des réverbères et je n’ai pas bougé.
« Salut beau brun. » Je baissais les yeux vers un parapluie rose. Une main s’en extirpa et me fit signe de la suivre. « J’obéis. »
Je me retrouvais dans un salon de thé. Il venait juste d’ouvrir, il n’y avait encore personne. La lumière était trop forte mais la chaleur agréable. Je m’assis sur une banquette, trempé et frissonnant et je ressentis enfin la fatigue de la nuit.
« Le contre coup » dit la petite fille en s’asseyant en face de moi. « Tu as usé toute ton énergie pour craquer mon sortilège. » Je souris d’un sourire sans joie à Constance
« J’ai surtout passé la nuit dehors. Virer ta merde ne m’a pas donné plus d’effort qu’un coup de balai ».
Un sourire. « C’est ça oui.
- Lolita ne veut pas me voir. »
Elle sortit son jeu de tarot, et se mit à battre les cartes, les étaler face contre table puis, après un instant de concentration sort celle du cœur. Darkness et Lolita, c’était écrit.
Je lui arrachais la carte des mains. « Mon cul oui. Ces fadaises mystiques ne sont pas plus réelles que du jus d’orange pur jus. »
Elle hausse les épaules.
« Un peu d’intuition, un peu de chance, rien de plus. » ajoutai-je
« Chance, malchance, intuition. Toutes les faces d’une même puissance. Les maîtres du hasard.
- Foutaise. Vous ne maîtrisez rien. Vous tâtonnez, ravis d’invoquer quelque chose qui vous dépasse jusqu’au moment ou ça vous retombera au coin de la gueule.
- T’es pas aussi con que tu en as l’air. » Elle fit glisser son jeu sur la table. « Tiens » dit-elle « montre-moi encore ta réussite ».
Je m’exécutais. Mélangeant rapidement, je disposai les cartes. La partie s’annonça vite mal partie et le sourire ironique de la petite m’énervait au plus au point. Je finis par m’en remettre à la chance mais je perdis quand même.
« Voilà pourquoi tu te retrouves à déjeuner un dimanche matin avec un gamine de huit ans. Tu commences à te remuer le cul quand c’est trop tard. Tu te laisses aller au gré des flots, t’enfonçant de plus en plus profondément dans de l’eau saumâtre et quand tu as bien tout foiré, tu te dis : mais, faudrait peut-être que je me remue un peu le cul pour sortir de cette merde et remonter respirer un coup. Alors tu essais de battre un peu des pieds pour remonter à la surface, mais c’est trop tard. Les dernières molécules d’air sont expirées, les jeux sont faits, et la fille est partie. »
Elle s’arrêta voyant la serveuse arriver, lui fit un grand sourire et redevint une petite fille de huit ans. « Je voudrais deux pains au chocolat et un jus d’orange pressé. 100% pur jus » précisa-t-elle.
Elle continua en me regardant « quand il vient d’être pressé, il n’y a pas de colorants ».
La serveuse acquiesça et je commandai un chocolat chaud et un croissant.
Elle récupéra son jeu, reprenant son air grave, et se remit à battre les cartes. « C’est là que ça se joue » dit-elle. Plaquant le tas contre la table puis le faisant glisser vers moi. « Celle-là est une partie gagnante. A condition de la jouer correctement, évidemment »
Je ne jouais pas, je la croyais sur parole. Je pris cependant le paquet de carte et je coupai.
Elle se mit à rire. « Evidemment, là ça ne marche plus. Tu casses tout. Parfois, je me demande si cette tradition de couper, n’était pas une façon de rompre les sortilèges.
- Tu as tort petite fille ». J’étalai les cartes et commençai la partie jusqu’à retourner toutes les cartes. « Il y a plusieurs façons de gagner. »
Ses yeux brillaient. « Tu apprends vite.
- Je n’ai pas l’habitude de me laisser avoir par une gosse. Depuis combien de temps es-tu dans cette merde ? »
Ces yeux se perdirent vers la rue. La ville se réveillait, quelques silhouettes passaient, de plus en plus nombreuses. Le salon de thé se remplissait. Mon deuxième chocolat était arrivé sur la table, elle commanda un autre jus d’orange.
« Sept ou huit ans » finit-elle par dire alors que j’avais déjà renoncé à l’entendre me répondre.
« Tu n’étais qu’un bébé ! » m’exclamai-je.
Quelques personnes se tournèrent vers nous puis repartirent vite à leur petits déjeuner préférant oublier ce qu’ils avaient sans doute mal entendu.
« Non » dit-elle en revenant à son jus d’orange. « J’avais sept ans et je suis ici de mon plein gré.
- Et tu en as combien alors maintenant ?
- Quelle importance ? J’ai cessé de grandir.
- Comment ?
- Knowledge ne t’a pas appris à diriger le temps ?
En effet elle m’avait parlé de ça mais jusque là je n’y avais guère prêté attention mais voilà que mes derniers points s’éclairaient. Comment Darkness pouvait avoir l’âge de sa nièce et Lolita avoir tant vécu alors qu’elle semblait si jeune.
- Pourquoi vouloir rester une gamine ? »
« Parce que les adultes sont méchants. »
Je partis d’un grand éclat de rire. « C’est toi qui ose parler de méchanceté ! Il n’y a pas pire que toi.
- Alors tu n’as pas dû connaître grand-chose.
- Tu m’as torturé Constance.
- Un simple jeu et tu ne m’en veux même pas.
- Comment oses-tu dire ça ! » C’était vrai, je souffrais bien plus de l’absence de Lolita que de ses petites mesquineries de gosse mal élevée mais je ne pouvais me permettre de le lui avouer.
« Imagine des enfants jouant à faire des boules de neige. Tu en reçois une dans le cou. C’est froid, c’est désagréable mais au final, c’est amusant et la seule chose à laquelle tu penses, c’est en faire une toi même et la renvoyer à ton tour.
- Tu veux dire que tu ne te rends pas compte de la souffrance que tu infliges ? »
Elle se lève, paye le petit déjeuner, récupère son parapluie et me fait signe de la suivre. Je m’exécute. On se retrouve à marcher cote à cote pendant quelques minutes. Cet air grave dans ce visage enfantin. Je le comprenais mieux maintenant. C’était ça qui m’avait dérangé chez elle. Ma première impression était sans doute la bonne. De la petite fille, elle n’avait réussi à garder que l’apparence. Elle se mit à parler. Doucement d’abord, puis avec plus d’émotions « Tu ne sais pas ce qu’est la souffrance. Quand ceux chargés de veiller sur toi te réveillent en pleine nuit pour te fouetter à coup de fil de fer barbelé, comme ça, juste parce que ça les fait rire. Quand tous les jours tu alternes entre la peur de mourir et l’espoir d’en finir. Quand chaque matin tu te demandes si tu verras encore le soleil se coucher parce qu’on t’a brûlé un oeil le matin avec la promesse de réitérer sur l’autre le soir. Quand la seule raison pour laquelle tu n’es pas mutilée, c’est pour rester présentable quand les amis de papa viendront tâter la marchandise. Ca, c’est la souffrance. Et maintenant, c’est eux qui souffrent. Ces hommes qui s’estiment au dessus des lois, qui se sentent le pouvoir de commettre les pires atrocités en toutes impunités parce que personne n’osent les condamner. Ceux qui s’en sortent les mains propres et nettes par vices de procédures ou absence de preuves et ceux-là, je les fais souffrir car je sais imaginer la souffrance. Je l’ai vécue. Pour toi, je n’ai imaginé qu’un jeu parce que tu n’es pas méchant, parce que tu es comme moi, et que pour toi, je me dis que je pourrais peut-être grandir un peu.
Je me tournai vers son petit visage, soudain éclairé par une lueur coquine.
« Oui. Quelqu’un comme toi pourrais me donner envie de grandir. Un petit peu. Pas trop. Ajouta-t-elle.
- Tu me fais des avances ? »
Elle pose un doigt sur ses lèvres et y dépose un baiser avant de le porter sur les miennes.
« Désolé, je ne m’intéresse pas aux petites sorcières qui jouent à la poupée.
- Je sais. Je ne suis qu’une petite fille même si j’ai vécu sans doute aussi longtemps que toi. Comme tu ne seras toujours qu’un petit garçon aux yeux de Lolita même si vous semblez avoir le même age. »
C’est faux ». M’exclamai-je mais je commençai à comprendre. Mais ça ne faisait aucune différence à mes yeux. Ce que Constance ne comprenait pas, c’est qu’entre Lolita et moi, ce n’était pas une question d’age, d’apparence, de pouvoir. Rien de ce qu’elle avait pu faire ou vivre n’importait. Notre amour allait bien au-delà de ça. Il était au-dessus des différences, des lois, de tout. Il pouvait déplacer des montagnes. Il était plus fort que tout. Mais cela, elle ne pouvait pas le comprendre. Elle continuait « Je ne connais pas bien Lolita. A vrai dire, je l’ai à peine aperçue. Knowledge aussi je la connais mal. Elle s’est mise à l’écart un bon moment a cause de cette histoire avec son amoureux. Bref, l’amour, c’est une belle merde. Ca a fait dérailler Knowledge et Soulsand . Et Lolita, elle est un peu givrée aussi. Quand on l’a récupéré, elle était maigre, malade et pleine de vermine. Elle devait se cacher dans les endroits les plus immondes, mangeant du rat sans doute, et complètement éreintée à force de plasmodier sans arrêt ses incantations protectrices. C’est pas bon ça. Il est des puissances qu’il vaut mieux se contenter d’effleurer.
Maintenant elle récupère. On s’occupe d’elle. Elle est avec ses semblables. C’est mieux.
- Je veux la voir.
- Bien sur, pour lui faire du mal en la harcelant avec tes sentiments qu’elle ne partage pas ?
. - Tu ne comprends rien.
- C’est toi qui ne comprends rien. Tu es surveillé, nous le sommes tous plus ou moins.Thimothé nous l’a dit.
- Mais, Knowledge m’a dit…
- Knowledge ment comme elle respire. C’est une pauvre fille qui a peur de son ombre. Bien sur que nos supérieurs savent où tu es. Ils te surveillent sans doute depuis qu’ils ont découvert qui tu étais vraiment. Tu peux remercier la Comtesse pour avoir craché le morceau et dénoncer ton père. Mais toi, tu es tellement focalisé sur Lolita que tu n’as rien vu de ce qu’il se passait autour. Ils savent qui tu es. Il savent qui était ton père et ils savent que tu portes en toi les potentiels de Soulsand. Alors maintenant, réfléchis, pourquoi crois-tu que tu es encore en vie alors qu’on te raconte tranquillement des secrets qui ont tué ton père dès qu’il a voulu t’en parler ? »
Je secouai la tête, qu’est ce que j’en savais.
« Ils te veulent. Voilà tout. Nous ne sommes pas assez nombreux, ils te laissent te promener au pays des merveilles dans l’espoir que tu restes dans la cabane du lapin blanc. Alors, Lolita a dit à Knowledge : chasse-le avant qu’il ne soit trop tard parce qu’elle t’aime bien. Un peu comme un tout petit frère. Plus même car pour je ne sais quelle raison elle veut te protéger, elle dit qu’elle a une dette envers les Witches. Mais Thimothé a dit à Knowledge : garde-le et fais-lui miroiter la puissance qu’il pourrait acquérir et elle a obéi, car elle est lâche. Et puis tu es venu pleurer devant chez Lolita et elle n’a pas supporté de te voir si malheureux et m’a dit : “va le voir, explique-lui qu’il doit partir ”. Alors je t’explique. Je risque des problèmes en te disant ça mais je m’en fous parce que moi, je ne te considère pas comme un petit frère, ni un grand » Elle ouvre les deux mains. « D’un coté tu as le pouvoir de l’autre la liberté mais c’est tout de suite. Si tu attends, tu tombes au milieu. » dit-elle en claquant ses mains.
Je n’hésitais pas une seconde : « Ce que je veux, c’est Lolita »
Elle s’arrête. Je reconnais l’immeuble de Darkness. Elle ouvre la porte. Ses doigts se crispent contre la poignée « Nulle part il n’y a de Lolita.
- Pourtant tu l’as dit, tu as dit que l’amour l’avait fait dérailler, que c’est pour cela qu’elle fuyait. Elle voulait rester avec moi. »
La petite appuie la joue contre la porte vitrée. On l’aurait dit sur le point de pleurer.
« Tu ne comprends rien Witches, il ne s’agit pas de toi mais de Darkness. Ce n’est pas son boulot qu’elle a fuit en se réfugiant chez les Witches. C’est un chagrin d’amour qui la ronge depuis dix ans. Elle refusait de rentrer car elle était trop fière pour lui avouer qu’elle ne pouvait vivre sans lui et il s’est servi de toi pour la retrouver parce qu’il ne peut vivre sans elle.
Darkness viendra à toi pour te proposer l’issue de secours, il est prêt a tout pour te voir partir le plus loin possible. En attendant, il dort. Avec Lolita. Ils ont dix ans à rattraper. La porte vitrée se referme entre Constance et moi. La petite fille disparaît dans un ascenseur.
Je tombe a genoux sur l’asphalte. Je pleure.
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