mercredi 28 novembre 2007

Chapitre 2

Je suis parti à la nuit tombée. L’idée qu’elle puisse être toute seule, sans nulle part où aller, au milieu de la nuit, traquée comme une bête, ça m’était insupportable. Je suis allé voir l’Obèse dans la cahute d’entrée. Il dormait, alors j’ai sorti ma voiture sans me faire voir. Sans Lolita, c’était plus facile. Ensuite, j’ai erré un peu au hasard avec des raisonnements à la con suivant les endroits qu’elle aimait et où je serais allé à sa place. Je l’ai trouvé au petit matin. Elle sortait d’un motel sur la grande route. Sur le moment, la retrouver ainsi, ne m’a pas paru particulièrement étrange. La journée de poisse était derrière moi, je pouvais bien avoir un peu de chance.

Je lui ai ouvert la portière et j’ai dit : « Personne n’a pu me dire pourquoi on te recherchait.

- Tu penses sans doute que moi je vais te le dire ? »

Evidemment que je le pensais, elle n’allait pas faire de cachotteries avec moi. Elle savait tout de moi et plus que tout, elle savait qu’elle pouvait me faire confiance. On est resté un moment à se regarder. Le temps de ravaler mon amour propre et d’accepter une fois pour toute que cette fille avec qui je partageais tout depuis dix ans ne partageait de son côté rien avec moi. Qu’elle ne me faisait pas confiance. J’aurai dû remonter la vitre et la planter là mais je l’aimais trop. J’étais prêt à tout pour elle aussi, tout ce que je me suis contenté de faire, c’est de lui ouvrir la portière et de lui proposer de monter.

Voila comment je me suis retrouvé en cavale. Je m’imaginais déjà complice sans même savoir de quoi. Situation déjà intolérable pour un gosse comme moi qui se sent rebelle car une ou deux fois il a fait le mur de sa baraque de luxe pour retrouver en cachette quelques jolies filles, le tout avec son garde du corps sur les talons. Ce fut encore plus dément. Deux jours après, on annonçait en première partie du journal télévisé l’enlèvement du fils Witches par son garde du corps. On attendait la demande de rançon. Nous étions dans une sorte de pension de famille perdue en pleine campagne. Le temps que ça se tasse disait Lolita. Se tasser de quoi ? Elle en faisait un mystère pire que son age réel. Quand je lui avais proposé de monter dans ma voiture, elle s’était contentée de me pousser, de prendre le volant et de rouler. On avait assez vite quitté l’autoroute pour des petites routes serpentant au milieu d’un relief de plus en plus prononcé jusqu’aux pied des montagnes. Nous n’avions quasiment échangé aucune parole. Je lui avais bien demandé une ou deux fois de m’expliquer, elle m’avait répondu que c’était compliqué. La gueule de l’excuse ! Pourtant, je n’avais pas insisté. Je n’étais pas stupide, je savais au fond de moi que si elle se sentait obligée de fuir ainsi c’est qu’elle avait quelque chose à se reprocher mais je ne voulais pas l’admettre. Ma Lolita devait être parfaite. C’est sans doute pour ça que je n’avais rien demandé de plus. Je préférais pouvoir imaginer que c’était une erreur. Mais là, ça allait trop loin. Comment pouvait-on penser qu’elle m’avait enlevé alors que si j’étais parti c’était pour la protéger. C’était du délire.

Faut que je passe un coup de fil lançais-je à Lolita à travers la porte de la salle de bain.

- Dans tes rêves mon mignon.

- Attends, ils croient que tu m’as enlevé.

- Mais non mon mignon, ils veulent faire croire que je t’ai enlevé pour avoir un motif pour me pincer. Bien plus pernicieux. »

- Je vais appeler mon père et je lui expliquerais. Il trouvera un moyen de te sortir de là.

- Non, tu vas rentrer chez toi et laisser monsieur Witches en dehors de ça.

Comment pouvait-elle imaginer que j’allais la laisser tomber. « Non, hors de question. » C’était dit. Je n’avais pas d’explications supplémentaires à donner après tout, c’était encore moi le patron. Maintenant, nous étions tous les deux. Et puis cette histoire d’enlèvement, mon père mettrait vite fin à ses rumeurs

Elle sort de la salle de bain. Ses cheveux noirs étaient devenus châtain doré.

- Pas mal. C’est ta couleur naturelle ?

- Non

- Tu devrais les couper aussi. Une tignasse comme ça quelque soit la couleur, ca se remarque.

- Tu as raison, je ferais ça. Mais je trouverais un coiffeur pour s’en occuper.

Elle s’installe sur le lit, attrape une pince à ongle -cadeau de la maison- et commence à s’occuper de ses pieds en chantonnant une litanie désagréable.

« Tu ne penses pas qu’on devrait filer ?

- Où ?

- N’importe où, mais imagine que le vieux bouc qui tient ce trou à rat regarde la télévision. Il ne me parait pas y voir bien clair, mais quand même.

Lolita ne répond pas se contentant de réunir les rognures d’ongles fraîchement coupés dans une coupelle.

« Tu n’as pas un mouchoir ?

Je lui tends un kleenex en insistant : qu’est ce qu’on fait ?

Elle ajoute le mouchoir dans sa coupelle et y mets le feu. « T’inquiète

- Et là, tu comptes mettre le feu à l’hôtel ?

Elle hausse les épaules. « Une sale habitude je sais. Un reste de paranoïa sans doute.

- Bien sur, évidemment. » Quiconque a déjà discuté avec Lolita ne dit plus jamais que les femmes sont bavardes mais admettent que se sont des êtres incompréhensibles.

Elle se fait deux tresses telle une petite fille, retourne dans la salle de bain pour troquer son peignoir contre un de ses éternels pantalon de cuir noir et m’entraîne dans l’escalier se contentant de dire que c’était l’heure du dîner.

On avait droit à la petite salle à manger pour nous deux. Ha ça, dans le genre discret, on n’aurait pas pu trouver mieux que ses chambres d’hôtes perdues au pied de la montagne avec vue sur la falaise et odeur de déchetterie. Evidemment, nous étions les seuls clients. Même en pleine saison, les seules personnes à atterrir ici devaient maudire leur agence de voyage. Et c’était sale en plus. Le service inexistant. Je ne suis pas obnubilé par le luxe. Je suis quelqu’un qui a su rester simple. Mais il y a des limites et là, elles étaient dépassées et cet endroit devrait être déclaré insalubre mais je doute qu’aucun inspecteur n’ait le courage de venir jusqu’ici. Le gérant après avoir enfilé une toque de cuisiner nous apporta nos plats que je ne doutais pas être juste dégelés avec des doigts sales, les ongles encore incrustés de terre.

« Calamar pour madame la terroriste et poulet à la mode du chef pour l’otage. Le chef, c’est moi » précise-t-il.

Je commence à paniquer. Je savais bien que je n’aurais pas dû écouter Lolita avec sa tranquille assurance. Elle restait calme même si elle s’était mise à marmonner entre deux bouchées. Je la connaissais trop bien pour ignorer ses tics de contrariété. Elle se décida à lever la tête tandis que je m’étais engagé dans une conversation foireuse à base de « je ne comprends pas » et de « je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler, cette demoiselle est ma sœur et nous sommes venu profiter du calme de cette si jolie région ». Evidemment, un tel mensonge sonne faux et il était logique que Lolita m’interrompe avant que je m’embourbe totalement.

« Depuis quand tu regardes autre chose que le téléshopping à la télévision ?

- Me prends pas pour un con. Je me tiens au courant moi. On n’est pas hors du monde ici. Bien sur, je n’ai pas une télé dernier cri. Une neuve ne serait pas du luxe. Genre écran plat géant qu’on accroche au mur. Enfin je te laisse imaginer.

Oui, et j’imagine que tu pourrais la mettre dans ma chambre pour distraire mon regard de la vermine. Tu ne crois pas que j’en ai assez fait pour toi ?

- Lolita, qu’imagines-tu ! Ma gratitude n’a ni limite ni date de péremption. Tous les jours que Dieu fait, je m’éveille en me disant, tout ce qui m’entoure, je le dois à Lolita.

Les affaires vont mal tu sais et ce qui m’entoure, c’est de la merde. Le toit à refaire, la tuyauterie en miette. Je ne te parle pas de l’électricité. Si j’ai un contrôle, je suis mort. Si je veux retrouver du monde, faut que j’investisse.

- Sale rat. On monnayera ça tout à l’heure. En attendant, retourne dans la porcherie qui te sert de cuisine et trouve-nous un dessert. Et si tu as ne fut-ce que l’idée d’approcher le téléphone t’es mort.

Il y avait apparemment beaucoup d’éléments que j’ignorai encore.

- Dois-je en conclure que vous vous connaissez ? » Je regardai le vieil homme partir en ronchonnant dans sa cuisine.

« Bien sur, nous sommes de vieux amis.

- C’est ce que j’ai cru comprendre. Dans quelle merde t’es tu fourrée Lolita ?

Ca faisait longtemps que je ne lui avais pas posé la question. Pour autant, je ne m’attendais pas à ce qu’elle réponde aussi je fus en même temps agréablement surpris mais aussi méfiant quand elle inspira profondément avant de se lancer dans une longue tirade :

« C’est compliqué, j’étais jeune. Je me tapai sans doute une bonne crise d’adolescence sur le tard genre idéaliste à la con. Je faisais des trucs pas nets mais au fond, je ne m’en sortais pas trop mal mais on m’en a demandé trop. J’ai refusé, j’ai eu peur, et puis je me suis engueulé avec quelqu’un qui m’était cher. Enfin l’escalade tu vois. Je me suis prise d’un trip à la con pour voir la réalité de la vie. Mais lui, ça n’a rien à voir. Ce n’est qu’un looser de bas étage. Une petite crapule qui connaissait des types pas nets mais que je devais rencontrer pour le boulot. Il a toujours marché au marchandage. Il m’a filé deux ou trois tuyaux, je l’ai aidé pour son affaire pourrie. C’est un sale type mais réglo. Il ne nous dénoncera pas à condition de trouver un arrangement et de ne pas rester trop longtemps. Faut pas tenter le diable. »

Des trucs pas nets comme quoi ? Des bêtises de gosse, sans gravité peut-être. Et c’était il y a longtemps. Sans doute sans importance. Mais j’avais de plus en plus de mal à m’en convaincre.

- Mais quoi, tu as tué quelqu’un ou quoi ?

Elle se concentre sur son poulet. Elle ne répond pas. Elle lève soudain la tête et se mord doucement la lèvre. « Je voulais pas. Je suis partie pour éviter ça et puis… » elle se penche à nouveau sur son assiette. « C’était un accident » dit-elle d’une toute petite voix « un stupide accident ».

On finit de manger en silence. Je n’ai pas le cœur d’en demander d’avantage. Ca changerait quoi ? Rien. Quoiqu’elle ait fait, c’est du passé et c’est déjà pardonné.

« Allez, si tu veux me suivre, tu dois apprendre les règles du jeu. Je ne serais pas toujours derrière toi » Elle sort une pièce de monnaie. La lance en l’air et la récupère dans le creux de sa main.

A ton avis ? Pile ou face ?

Qu’est ce que j’en sais moi.

A ton avis ?

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