mercredi 28 novembre 2007

Chapitre 5

Je me suis levé tôt le lendemain. L’alcool évacué, mes craintes sont revenues. Lolita me répétait inlassablement de ne pas m’inquiéter, que cette histoire d’enlèvement tombait à pic car du coup, personne ne croirait que c’était bien nous qui étions recherchés. C’est vrai que je n’avais pas vraiment l’air d’être maltraité même si je souffrais le martyre de ne pouvoir serrer Lolita contre moi.

J’étais sorti acheter quelques bricoles. Vêtements de rechanges, affaires de toilettes, deux ou trois caleçons, le genre de détail qui commençait à me manquer sérieusement après mon départ précipité. J’avais profité que Lolita dormait encore sinon, elle m’aurait fait une scène pour ne pas me lâcher d’une semelle à croire que j’étais vraiment son prisonnier. Et puis, ça me faisait du bien de marcher un peu. L’air était vivifiant. C’était bon pour ma gueule de bois. La piquette des fêtes de village, je ne la recommande à personne. C’est en revenant que je l’ai vu. Déjà, une grande voiture noire avec vitre fumée devant notre petit hôtel dans un village perdu en pleine montagne, ça attire l’attention. L’homme au comptoir aussi attirait l’attention. Assorti à la bagnole. Noir également. Pas uniquement à cause de sa couleur de peau. En général j’ai tendance à penser qu’un mec trop bien soigné, c’est qu’il aime les hommes. Sauf mon père. Sauf celui-là aussi. La classe. Tellement de classe que ça en était louche et que je ne pouvais m’empêcher de le mater en passant. Costume de luxe, bagues en argent. Il parlait à la femme de l’entrée qui rougissait comme une demeurée. « Chambre 446 » lui dit-elle en pouffant. L’homme lui fit un léger signe de la main comme s’il l’a saluait d’un chapeau imaginaire. Oui, c’est ça, il était jeune mais avec des manières de vieux. Je ne suis pas allé plus loin dans le détail. C’est le numéro de la chambre de Lolita que cette gourde avait donné. J’étais près de l’ascenseur, l’homme se dirigeait déjà dans ma direction. Vite, entrer dans l’ascenseur. Il en met du temps. Il ne se ferme pas. Vite, ferme-toi, ferme-toi. L’homme arrive. Il me fait signe de lui garder l’ascenseur. Vite, ferme-toi. Les portes coulissent juste à temps. La cabine monte. Trop lentement. Deux femmes entrent au premier. Elles piaillent comme des poules. Je trépigne. Elles descendent au deuxième. J’aurai du prendre l’escalier, j’y serais déjà. J’ai envie de les pousser dehors. L’ascenseur repart avec un grincement de ferraille et je suis de retour…au rez de chaussée. Je peste, j’ai envie de frapper le nouveau venu qui me fait un grand sourire en me souhaitant une bonne journée. Je ne vais sûrement pas lui répondre, c’est à cause de lui que je suis bloqué dans cet ascenseur. J’ai un mauvais pressentiment. Pourquoi ce type veut-il voir Lolita ? Est-il de la police ? Sans doute. Bon sang, si au moins elle m’avait dit ce qu’on lui reprochait. On s’est mis dans une situation impossible elle et moi. Peut-être que si on se contentait de s’expliquer, ce serait suffisant. Il ne s’agit que d’un malheureux quiproquo. Oui, je vais faire ça, jouer franc jeu. Ca y est, l’ascenseur s’ouvre au quatrième. Je me précipite dans le couloir abandonnant mes paquets. Il fait noir. Je cherche l’interrupteur. Pas de lumière. Merde, c’était bien le moment. Quoique l’autre mec aurait du mal à tâtons. Moi au moins, je connaissais l’emplacement de la chambre. Je compte les portes qui me passent sous les doigts au fur et à mesure que j’avance dans l’obscurité. Je crie en ouvrant la porte de sa chambre : « Lolita ! »

Elle se retourne. Elle est debout les bras croisés, le visage grave et les sourcils froncés.

« Il y a … » Je ne finis pas ma phrase. Assis sur le lit, il y a un homme en costume sombre. Celui que j’ai vu à l’accueil. Je n’arrive pas à parler, je suis essoufflé alors que je n’ai même pas couru. Lui non. Il est parfaitement à l’aise, comme s’il avait toujours été là. Il fume une cigarette sans se soucier des cendres qui commence à tapisser la moquette. C’est une chambre non fumeur, il n’y a pas de cendrier.

« Bonjour monsieur l’otage » dit-il d’une voix calme et grave à peine teintée d’ironie. Puis se tournant vers Lolita. « Tu ne devrais pas, je ne sais pas, l’attacher, le bâillonner, le torturer. Un otage qui galope, ce n’est pas sérieux.

- T’es qu’un salop Darkness.

- Opportuniste, je préfère.

- Qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? Me tuer ? Me ramener de force ? »

Son visage se fait plus doux d’un coup « Voyons, Lolita. Comment peux-tu penser ça de moi. Le pacte avant tout évidemment. Je me ridiculiserai en faisant croire que je ne t’ai pas trouvée et, fou de rage, ils intensifieront les recherches. Qu’est-ce que tu fous là ? Tu as l’air de quoi ? Tu vas passer ta vie à cavaler ? Allons chérie, rentre à la maison, profite de la vie.

- Profite de la vie ! Tu oses dire ça. Je ne veux pas vivre avec du sang sur les mains. »

L’homme regarde ses mains. Paume en haut, paume en bas. Nickel.

« Tu sais très bien ce que je veux dire. Alors dis-leur que j’ai encore mes moyens de pressions et que je n’hésiterai pas à m’en servir.

« Parce que tu ne l’as pas déjà fait ? Tu es trop faible ma belle. Bien trop faible. A ta place, dès que j’aurai aperçu quelqu’un derrière moi, je n’aurai pas hésité. Juste un petit coup en avertissement. Enfin bref. Tes menaces ont marché pendant 10 ans, ce n’est pas mal. C’est le temps qu’il m’a fallu pour le craquer.

« Lolita est décomposée. Craquer ! Elle est désespérée.

- Bien sur ma belle.

- Pourquoi t’as fait ça ?

Il l’attrape par son tee shirt et la tire vers lui. J’ai envie de me précipiter mais je reste paralysé.

« Ecoute ma belle. Tes petites merdes, j’aurais pu les craquer en un voire deux ans à tout casser. T’es qu’un amateur et je suis un pro. J’ai attendu dix ans. J’ai facilité ta fuite en t’envoyant les pires trous du cul à ta recherche et maintenant, Je pourrais te ramener mais Je ne le ferais pas cette fois-ci. Alors tu vas décamper avant que l’autre mec dans la voiture se demande pourquoi je mets tant de temps puis, si tu croises encore mon chemin, alors on se la fera en colocation. C’est clair ? Il la lâche d’un coup, elle tombe assise sur le lit. « Et plus si affinité » dit-il en se détournant. Je m’écarte pour le laisser passer. Il me dévisage un instant. Pff. Garde du corps chez les Witches, il y en a qui ne manque pas de culot. Je le dénoncerais bien celui-là. Un jour peut-être. En sortant il m’arrache une mèche de cheveux. Je pousse un cri comme un gosse. La surprise sans doute. « Pour les frais de déplacement » qu’il dit en claquant la porte.

J’ai demandé à Lolita si ça allait, elle m’a répondu oui. Je lui ai demandé qui c’était, elle m’a dit Darkness. Ensuite elle n’a plus rien dit et je n’ai plus rien demandé. Je me sentais honteux. J’étais resté debout sans rien faire. Il aurait pu lui tirer dessus, aurais-je seulement bougé ? Je suis un lâche. Pourquoi l’ai-je suivi ? Je voulais la protéger mais je suis incapable de protéger qui que ce soit. Non, je l’ai suivi juste parce que je ne peux pas me passer d’elle mais je ne lui sers à rien. Pire, je suis un boulet qu’elle traîne derrière elle. A cause de moi, on l’accuse d’enlèvement. Tout est ma faute

Nous sommes partis. Elle m’a pris par le bras, m’a entraîné par la fenêtre et fait descendre par l’escalier de secours et j’ai encore trouvé le moyen d’avoir le vertige. Nous sommes passés si près de la limousine que je me suis retenu de respirer de peur que les hommes perçoivent mon souffle. Celui que Lolita avait nommé Darkness était appuyé contre le capos. Fumant tranquillement un cigarillo. Plusieurs hommes lui parlaient nous tournant le dos. Je pense que Darkness nous a vu. Il s’est tourné dans notre direction mais je n’ai pas perçu son regard, caché derrière ses lunettes noires Il n’a manifesté aucun signe. Vu ainsi voiture noire et homme noir entouré de volute de fumée, c’était comme une tache d’obscurité. Je ne sais pas pourquoi cette image m’est venue en tête. Son nom sans doute.

Nous avons roulé. Longtemps. Evitant les grandes routes, traversant des villages perdus. Lolita a laissé la voiture et en a loué une autre sous un faux nom : Justine Parker. Je me suis demandé si ce nom n’était en fait pas plus vrai que Lolita ou Katarina. Je ne lui ai pas demandé. Au fond, je ne savais rien d’elle et plus nous roulions plus je percevais qu’il fallait sans doute que je ne le sache pas. Elle m’a passé le volant et nous avons repris la route. Elle a fini par parler. Sans me regarder. Ce qui est pratique quand on conduit, c’est qu’on est obligé de regarder devant soi. C’est plus facile de se confier à quelqu’un qui ne vous regarde pas. Il n’y a pas pire juge que le regard d’autrui.

« Il n’est pas foncièrement mauvais.

- Qui ?

- Darkness.

Je n’ai pas aimé la façon dont elle a dit ça. J’en ai ressenti comme une pointe de jalousie. Je ne sais pourquoi. Sans doute à la façon dont elle l’avait regardé. Et pire celle dont lui l’avait regardée.

« C’est ton ex ?

J’avais envie qu’elle me dise oui. Un ex, c’est terminé. On peut encore vouloir le protéger même si c’est un salop pour les souvenirs qu’on a eu ensemble ou parce qu’on refuse de s’avouer qu’on a pu se tromper autant sur quelqu’un, mais ca ne va pas plus loin. Enfin, c’est la théorie que j’ai élaborée sur le moment.

« Pas vraiment, c’est compliqué. »

J’ai serré les dents. Quand c’est compliqué entre un homme et une femme s’est toujours qu’il y a des sentiments. Mais ce merdeux, il bosse pour les méchants. Enfin sur le moment j’oubliai que les hors la loi, c’était nous.

« Que s’est-il passé ?

- On a chacun choisi son camp et on est sans doute tous les deux trop fiers pour faire la part des choses. »

Le silence. J’aime pas ça. Ce mec, il l’a peut-être laissé filer alors que je restais comme un con à ne pas savoir quoi faire mais c’est un salop. Il n’y a qu’à voir comment il lui parlait. Elle devrait être fâchée, triturer des cigarettes éteintes en marmonnant. N’importe quoi mais pas ce calme, pas cette mélancolie.

« C’est quoi cette histoire de pacte ? »

Elle sourit. Quand Lolita sourit, c’est comme un rayon de soleil après une semaine de pluie. On l’attend depuis longtemps et ça met du baume au cœur et on ne souhaite qu’une chose : que ça ne s’arrête jamais. Mais là, ce sourire ne m’était pas adressé, il se perdait dans le paysage qui défilait autour de nous. C’était un sourire pour le passé, pour le souvenir, sans doute pour cet homme dont j’ignorai tout. Et ça m’a fait mal car je voudrais que tous ses sourires soient pour moi.

« C’est un truc de gosse » dit-elle insouciante de mes états d’âme. Je ne suis pas amoureux de Lolita enfin pas vraiment. C’est juste que je voudrais la protéger. Elle n’en a pas besoin mais je crois que le lui dois. Non, c’est plus que ça. Je la sens malheureuse et je voudrais qu’elle soit heureuse. Qu’elle soit heureuse grâce à moi. Oui, c’est ça. Enfin, je l’aime comme un fou.

« Un simple truc de gosse » répéta-t-elle. « Tu sais, le genre de cérémonie où on se dit qu’on est ami pour la vie, qu’on restera toujours ensemble et d’autres conneries qu’on croit très fort quand on est gosse. »

Je connaissais. Quand j’avais six ou sept ans, j’avais fait un truc du genre avec mes potes de l’époque. Nous avions enterré une boite dans un endroit secret et chacun de nous avait glissé un petit mot. Au début, nous voulions mettre notre plus cher trésor et puis au moment d’enterrer la boite nous n’en avions pas eu le courage. Un de mes potes y avait mis un petit train et il ne voulait pas l’enterrer. Je m’étais foutu de lui mais au fond, j’avais fait pire, j’avais placé une peluche moche donnée par une voisine. Un truc dont je me fichai totalement et j’avais fait croire qu’elle avait beaucoup de valeur affective à mes yeux. J’avais inventé toute une histoire. Enfin bref, on avait failli s’étriper avant même de sceller la boite de l’amitié mais mon garde du corps de l’époque était intervenu et nous a proposé d’y mettre plutôt un petit poème de notre cru. Car, il faut remettre les choses dans leur contexte. L’endroit secret était dans le jardin car je n’avais pas le droit de sortir et sous les yeux des gardes et des caméras de surveillance. On est con quand on est gosse.

J’ai raconté tout ça à Lolita. En y repensant, ça m’a fait rire. Lolita n’a plus souri. Elle a écouté mais son visage est resté grave.

« Voila, c’est un truc du genre sauf qu’en ce qui nous concerne, nous y avons mis chacun un peu de nous.

- Un peu de vous ?

- Oui, une mèche de cheveux, des morceaux d’ongle et quelques gouttes de sang.

- Ha d’accord, tu m’as fait peur, je t’imaginai déjà te scier un orteil. »

Pas de réaction.

Le silence à nouveau.

« Nous ne sommes plus en sécurité Tony. Tout s’effondre et si les grosses pointures s’en mêle… On est mal tu sais »

Comment le saurais-je, elle ne me disait jamais rien. « Ha bon, parce que jusqu’à maintenant alors c’était un jeu ? » En fait, je pense que c’était ça. Pour Lolita je veux dire. Elle partait à l’aventure, insouciante et confiante en sa chance. Se contentant de dire que le hasard faisait bien les choses pourvu qu’on lui donne un petit coup de pouce. Mais à partir de là, elle a changé. Elle a vraiment commencé à s’inquiéter, à se sentir en fuite. La fête de la veille avec ses rires et son insouciante faisait partie d’une autre vie. Tout ça a cause de ce Darkness. C’est lui qui la rendait malheureuse, j’en étais convaincu.

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