mercredi 28 novembre 2007

Chapitre 4

« On voudrait une chambre.

- Attendez je regarde ».

Une chambre. Elle a dit une. Pas deux. Mon cœur s’emballe. Je m’accoude contre le bois de l’accueil, bar, vente de souvenir de ce petit village perdu en pleine montagne. Je prends l’air détaché. Elle a dit une.

« Deux lits » précise-t-elle. Elle se tourne vers moi. « Hors de question que je te lâche ici. Mais hors de question aussi que tu me colles. C’est compris ? »

Bien sur c’était compris. C’est juste ma vie qui venait de voler en éclat. Rien de dramatique là-dedans.

« Pas de chambre aujourd’hui » reprend la voix nasillarde avant de se moucher avec force et bruits. Mais j’en aurais une demain.

Houai et on pieute dans la bagnole cette nuit juste pour le plaisir de pouvoir s’offrir une chambre dans ton hôtel de merde demain sans doute. Qu’est-ce qui peut attirer tant de monde dans ce patelin ? Car il faut savoir qu’en dehors des autoroutes, il y a aussi une vie. Et quelle vie ! De petits villages accrochés sur les flancs des falaises, perdus au fin fond de la montagne après des heures de routes sinueuses qui te rendent malade. Lolita estimait qu’ici, nous serions tranquilles. Qui reconnaîtrait le fils Witches ici ? Personne n’aurait ne fut-ce qu’entendu parler de cette société et qu’en bien même, ils cherchaient un otage, pas un couple.

Je n’avais pas été rassuré mais elle avait dit le mot magique : « couple » et pour ça, je l’aurais suivie jusqu’au bout du monde. Elle était resplendissante. Elle s’était fait couper les cheveux dans un petit village. Une coupe très courte, à la garçonne et pourtant, elle n’en était que plus féminine. Elle s’était achetée une robe aussi. Toute simple. Rose avec de petites fleurs blanches et de fines bretelles et j’avais raison, elle avait les plus belles jambes qui soient, fines et galbées à la fois. Elle ne se maquillait plus et elle avait l’air encore plus jeune et son visage était plus doux. Dans son signalement, on disait qu’elle avait vingt neuf ans. Je lui en aurais donné 18. Allez, 20 pour qu’elle ait le même age que moi. Elle s’émerveillait à chaque tournant de montagne comme si tous les paysages s’offraient à elle. Elle non plus n’avait sans doute pas beaucoup voyagé.

Quand nous étions entrés dans ce village, elle m’avait dit de m’arrêter. Naïvement, j’ai pensé être arrivé, je ne savais pas où mais arrivé. Elle m’a juste désigné l’hôtel et m’a dit qu’on allait s’arrêter pour la nuit. Il était encore tôt mais il y avait des banderoles et des enfants qui courraient dans des costumes folkloriques. La fête au village. Enfin pas de quoi remplir un hôtel à mon avis.

Comme en réponse à mon interrogation. La patronne désigne l’affiche derrière elle. Concours de pêche. « Parce qu’il y a des gens qui se déplacent jusqu’ici juste pour pêcher ?

- Et comment ! C’est qu’on a des saumons qui remontent jusque ici et vous comprenez, les participants et les visiteurs. Il y a le concours. Et puis, il y a la fête aussi. Le bal sur la place. En plus il devrait faire beau. Quand le vent souffle comme ça, c’est que la pluie ne va pas tarder à s’arrêter. »

C’est ça vante ton bled, de toute façon nous n’avons pas d’hôtel et nous n’allons pas rester alors ta pub, tu te la gardes.

Lolita écoutait. A la voir, j’avais vraiment l’impression qu’elle aurait été heureuse de participer à cette fête minable. Elle vit dans un autre monde. Ce devait être la première fois que je la voyais quitter son air bourru et mélancolique et il fallait que ce soit en entendant parler d’une course de cochon. Et c’est qu’elle demandait des précisions en plus. Voilà qu’elle délirait avec la patronne sur les différentes façons de préparer le poisson. Lolita, elle ne sait même pas cuire un œuf. « Tu entends ça Tony ! Une friture !

- Super oui. Bon, on se casse.

Mais non, elle commande un café. « Tu en prends un aussi ? » Je hausse les épaules. « Pourquoi pas ».

On s’assied sur un vieux canapé au fond du bar. Elle prend une cigarette, la tourne dans la main comme elle le fait avec ses couteaux. J’attends qu’elle l’allume pour la prendre en flagrant délit. Sans doute lutte-t-elle intérieurement. Elle semble si concentrée. J’imagine très bien ses pensées telles un petit diable et un petit ange de cartoon se disputant. Allez Lolita, juste une, qu’est ce que ça fait. Vu les années que tu as passé à fumer, ça ne fera pas de différence. Et l’ange de l’autre, les mains jointes. Non Lolita, tu ne dois pas. Tu es forte, tu n’as pas besoin de ça.

J’ai bu mon café, le sien doit être froid. « Bon alors, qu’est ce qu’on attend ? »

Elle hausse les épaules et quitte ses rêveries. « Je serais bien allée à cette fête. »

- Tu plaisantes !

- Je n’ai jamais fait de fêtes de village. Une fricassé de poisson. Ca me dit moi. »

C’est ça oui. En fait on avait de la chance que l’hôtel soit complet. « He oui Lolita. Malheureusement, l’unique hôtel est complet. Alors je suggère qu’on se remettre en route vers ta mystérieuse destination si tu ne veux pas dormir dans la voiture tout contre moi.

- Cinq minutes » dit-elle.

Je me rassieds. Je regarde les gens. Quatre personnes jouent aux cartes à une table. La pluie a cessé, la patronne avait raison, le temps virait au beau. Une femme passe, traverse l’entrée dans un imperméable rose bonbon de fort mauvais goût et se dirige vers les chambres. Un homme la croise. La percute presque. Il passe au comptoir, dépose ses clefs et entame une conversation avec la gérante. Pas content du tout le mec. Encore un homme qui entre. Le visage rougeaux, les bottes de caoutchouc jusqu’à mi-cuisse et tout l’attirail de pêche. « Hé pas de ça sur la moquette » crie la gérante avant d’en revenir à son autre client.

L’homme ôte ses bottes. Un autre pousse la porte dans le même attirail et se déshabille à son tour au milieu du bar. L’autre client sort.

« On se casse ? »

Lolita regarde sa montre. « Trente secondes ».

Je regarde la pendule au dessus du comptoir. Un vieux truc de bois avec des oiseaux peints sous une couche de verni écaillé. Pas fâché de quitter cet endroit. Dix secondes, neuf, huit, peut être se trouvera-t-on une bonne chaîne d’hôtel anonyme et propre. L’ambiance famille, c’est pas mon truc. Deux, un, …

Je me lève.

La gérante nous fait un signe.

Lolita se lève à son tour et remet sa cigarette non entamée dans le paquet.

« On peut dire que c’est votre jour de chance ». On s’approche, je crains le pire. Lolita est radieuse. Elle s’accoude au bar tandis que la gérante baisse la voix. « Je ne devrais pas parler ainsi. J’ai un client qui s’en va. Un décès dans la famille. » Lolita se mord la lèvre. Elle a l’air franchement désolée. L’altruisme, c’est pas son truc. Voila qu’elle se met à faire semblant de compatir maintenant.

Enfin bref, si vous n’êtes pas pressés, je demande à la femme de ménage de préparer la chambre et vous pouvez vous installer dans une demi heure.

Merci.

Lolita va se rasseoir. Elle boit son café froid. Elle fait la tête.

« Ben quoi, tu n’es pas contente, tu vas pouvoir assister à ta fête bidon. »

Elle hausse les épaules. « Oui. » dit-elle d’une toute petite voix.

- Alors quoi encore ?

- Rien, je pensais au client. Un décès, c’est un drame.

- Oui mais au moins tu as la chambre.

- Oui, mais il aurait pu partir pour une autre raison. Je ne sais pas moi. Il vient d’apprendre qu’il a gagné au loto, ou sa fille qui accouche d’un beau bébé. Pourquoi un décès ? »

Non, décidément, je ne la comprendrais jamais. Mais, c’est ça qui fait son charme. Un jour dur à cuir, un autre plus sentimentale qu’une héroïne de roman de gare. On a mangé sa fricassé de poisson. Et c’est vrai que c’était bon. Rien à voir avec celle que nous fait la cuisinière à la maison mais ça avait un certain charme, quelque chose de différent. Peut-être l’ambiance. De grands bancs de bois, des chansons paillardes. Ce monde. Je craignais qu’on nous reconnaisse. Dès que je disais un mot sur le sujet, Lolita me resservait un verre jusqu’à ce que je ne sois pas capable de faire autre chose que sourire bêtement. Elle a dû boire presque autant que moi. Nous avons chanté avec les villageois, nous avons même parié sur la course de porc et Lolita à gagné un jambon puis nous avons dansé, même les danses de villages les plus stupides et quand la musique s’est ralentie, nous nous sommes retrouvés dans les bras l’un de l’autre à nous tenir chaud. La piste de danse se vidait. De toute façon, je ne voyais qu’elle. Elle était proche, elle me souriait. Tout était là : la musique douce, le clair de lune. Elle était belle et je l’aimais. Pourtant, je ne l’ai pas embrassée. Peut-être que tout aurait été différent si j’avais pu vaincre les quelques centimètres qui nous séparaient. Ou peut-être pas. Sans doute ne l’ai-je pas fait car tout au fond de moi, je savais qu’elle se détournerait et que ce serait la fin de tous mes espoirs. Alors, au lieu de ça, nous avons marché bras dessus bras dessous comme deux amoureux. Nous avons ri et même chanté et je l’ai pris par la main tandis qu’elle marchait en équilibre sur un fin muret que l’alcool faisait danser puis, nous sommes rentrés à l’hôtel. Et chacun a choisi son lit.

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