mercredi 28 novembre 2007

Chapitre 6

« Prends à droite, là. »

Je m’exécute. Le « là » en question, c’est une petite route en terre battue entre deux champs de maïs. Le genre de route pour lesquels on rêverait d’acheter un 4X4. J’étais en pleine manœuvre pour éviter un nid de poule rempli d’eau qui me paraissait particulièrement profond quand elle me dit : « c’est là, arrête-toi ».

Il n’y a rien là, mais je plaquai la voiture contre les maïs comme s’il y avait un risque qu’un autre con prenne cette route et coupai le moteur. Elle était déjà dehors. « J’ai grandi pas très loin d’ici. Tu le savais ? » Bien sur que non, je ne savais rien. Je ne savais même pas où nous étions, ça faisait un bon bout de temps que je n’avais pas vu ne fus-ce qu’un panneau. En y réfléchissant, mon père aussi était originaire d’un trou dans la région. Je ne saurais dire où, il ne parlait pas souvent de son enfance mais il est fils de paysan et a monté son affaire sur le tard.. Heureusement qu’il n’est pas resté à la campagne, je ne l’aurais jamais supporté. Quand je ne respire pas ma dose d’oxyde de carbone, je me décompose. Lolita s’était engagée dans le champ et disparaissait déjà. Je l’ai suivie. Elle a marché ainsi sur ce qui m’a paru être la moitié du champ. J’avais du mal à suivre, les larges feuilles me coupaient les bras que je mettais devant moi pour me protéger le visage et plusieurs fois, c’est uniquement la chance qui m’a permis de la retrouver. Puis, elle s’est arrêtée. Il y a avait un arbre. De hautes herbes avaient poussées autour dans l’espace laissé libre par les maïs. Elle s'est tournée vers moi. Très grave. Je te fais confiance Tony, promets-moi que tu ne révèleras jamais ce que tu verras ici.

Je haussais les épaules. Oui, si tu veux.

Promets

J'hésitai. Je craignais qu'elle me déterre un cadavre ou un truc du genre. Et puis, merde, quoi qu'elle ait fait, jamais, je ne la dénoncerais. « Je promets ».

Elle s’est agenouillée. S’est mise a arraché les herbes. Doucement d’abords puis avec plus de force comme si, par ses gestes, elle expulsait une rage dont la cause m’était inconnue. Elle a creusé la terre. J’aurais pu faire un geste, lui proposer de l’aider, quelque chose mais je suis resté debout, les bras ballants. Elle a sorti une vieille boite de fer blanc que la rouille avait déjà bien entamée. Elle la tenait doucement, avec tant de précaution, comme elle l’aurait fait d’un nouveau né. Elle l’a ouverte laissant découvrir quelques petites fioles. Je m’approchai, je reconnus quelques mèches de cheveux dans de vieux tubes à essai du genre qu’on trouve dans les labos de chimie.

« Tu veux dire qu’on a fait tous ces kilomètres juste pour retrouver ta vieille boites au trésor ? » Elle m’a repoussé. Je me suis senti gêné tout d’un coup. Je me suis rendu compte que je m’étais moqué d’elle. Si c’était important pour elle, ça l’était aussi pour moi. Elle cherchait un endroit où la poser. Le sol était loin d’être plat et les herbes n’arrangeaient rien. Je me proposais de l’aider en tendant les mains vers la boite. Si elle estimait que cette vieille boite rouillée qui avait passé des années sous terre ne devait soudain pas entrer en contact avec une végétation douteuse, ça m’allait aussi. Elle m’écarta. La tenant fermement d’une main tandis que de l’autre elle dégageait un espace pour la poser.

« Je ne vais pas la casser ta boite. » Une passade de mauvaise humeur que je n’avais su retenir et que je regrettai déjà. Mais elle exagérait aussi.

« Ca porte malheur » se contenta-t-elle de dire. Elle manipula doucement les différentes fioles comme s’il s’agissait de nitroglycérine avant de les remettre en place n’en gardant qu’une seule légèrement différentes des autres.

Ca commençait à devenir malsain ici. J’avais toujours admiré les prouesses de Lolita, son coté pas normal ne me déplaisait pas. On a tous un coté pas normal, quelques manies auxquelles on tient même si tous autour ne peuvent que les trouver stupide. En général, on les cache. J’en ai aussi. Mais je n’en parlerais pas ici justement car ça ne se dit pas. Le coté enfantin de Lolita, je l’avais déjà remarqué. Elle aime les perles et les poupées. Elle se garde même des horribles poupées et animaux de chiffon qu’elle devait déjà avoir dans son berceau. Je trouve ça émouvant. Ca donne une touche d’humanité qui contrebalance son image de dure à cuire. Mais là, c’était trop. Moi aussi ma boite à secret, personne ne pouvait la déterrer sans l’autorisation de tous. Celui qui s’y risquerait brûlerait en enfer. Une fois, j’avais voulu mais la perspective de brûler m’avait fait renoncer. Cela dit, j’avais huit ans. Maintenant la boite devait toujours être sous terre mais pas à cause de la perspective de l’enfer. Juste parce que je m’en fous.

Elle observait toujours la fiole. Je remarquai un signe.

« C’est quoi ? » Dis-je, « vous aviez aussi inventé un alphabet ?

- En quelque sorte mais ce signe, je n’arrive pas à le déchiffrer. Je dirais, quelque chose qui ne bouge pas, l’immobilité. Non, qui ne change pas, toujours pareil. Statique»

Bien sur, bien sur, palpitant tout ça.

« Hé merde, ça n’a pas importance. » lança-t-elle soudain. Heureux de la voir revenir à la raison mais je ne lui ferai pas remarquer. « C’est des morceaux de qui ? » J’essayais de feindre un intérêt que je ne portais pas réellement. « Je ne sais pas » dit-elle, cette fiole n’est pas d’origine, elle a été rajoutée. Elle referma la boite et la replaça à son emplacement originel gardant tout de même un échantillon qu’elle me tendit. « C’est pour toi » dit-elle. Puis elle conclut que tout était intact et je pris la fiole qu’elle me tendit sans faire attention.

Que veux-tu que j’en fasse ?

Ce que tu veux.

Je n’avais pas envie de discuter. Je la fourrai dans une poche de mon manteau, je m’en débarrasserais plus tard discrètement.

Bien, une bonne chose de faite. Que m’avait-elle dit quand je lui avais demandé où elle comptait aller ? Faire une vérification et aider une amie. Je suppose que c’était la vérification la copine en question est dans le coin. Je ne peux pas croire qu’on ait fait tout ce chemin juste pour ça.

Il commençait à faire froid, sombre et il n’allait pas tarder à pleuvoir. J’avais de la boue jusqu’aux genoux, aucune tenue de rechange, Tout était resté dans l’ascenseur de l’hôtel. Lolita était couverte de terre, nous étions en rase campagne et j’avais faim.

« Qui va là ? »

Et comble de tout, une vieille négresse était apparue nous menaçant avec une carabine qui avait au moins vécue deux guerres.

C’est la première fois qu’on me menaçait d’une arme, mais je n’avais pas peur. La situation était si grotesque que je ne me sentais pas en danger. Lolita s’était jetée devant moi et un poignard était apparu dans sa main droite. La pluie s’est mise à tomber. Une vraie scène de cinéma. Mais d’un très mauvais film.

« Lolita ? » dit la vieille en baissant son fusil. Le poignard disparut dans son étui. Lolita s’est avancée vers la vieille et la sert contre elle sans se préoccuper de la boue qui la maculait et la pluie qui s’intensifiait.

« A quoi tu joues ici ?

- Petite vérification » répondit-elle à la vieille.

« Bah, qu’est ce que tu t’imagines, la vieille Anna veille à ton trésor petite fille. Allez, viens plutôt au chaud.

On suivit la vieille Anna à travers les Maïs, traversa une cours boueuse au relent d’animaux jusqu’à une vieille ferme au milieu des champs. On se serait cru un siècle en arrière. Pas de chauffage, une cuisinière au bois de vieux ustensile de cuisine d’époque et je ne parle pas du mobilier.

Une grosse bûche tomba dans l’âtre et je m’éloignai voyant les étincelles qui s’en dégageaient. La vieille me rhabilla avec une chemise de bûcheron élimée ayant appartenu à son défunt mari. Sa préférée et un pantalon bien trop large tandis que Lolita était méconnaissable dans sa tenue de paysanne. Ravissante malgré ses cheveux encore humide. Elle ne disait, rien, regardait le feu tandis que la femme s’activait sur son fourneaux ne s’arrêtant plus de parler du temps, des jeunes qui désertaient les campagnes et de la difficultés de trouver du personnel compétent surtout qu’on a beau dire, personne ne veut travailler pour une vieille femme noire. Alors elle devait s’occuper de tout, ce qui au fond n’était pas plus mal mais difficile à son age. Il n’y avait nulle plainte réelle, juste une acceptation stoïque de son sort.

« Vous n’avez pas d’enfant ? »

Elle me regarda avec des yeux comme des tasses à thé. « Bien sur que si, j’ai fait des enfants. Je suis une bonne catholique moi et les enfants sont un don du ciel. » Elle disparut dans la pièce à coté et revint triomphalement avec une photo passée d’un troupeau de petits morveux et se mit en devoir fièrement de faire les présentations. « Ca, c’est Willy, mon aîné, Justin, Paul, Marc, Marie, Victor et Arthur. Six garçons et une fille.

- Belle famille » dis-je par politesse.

- Oui. Et c’était pas la même époque. J’ai accouché chez moi, à la dure. Maintenant on fait tout une histoire à la naissance d’un enfant mais donner la vie, c’est naturel. Et à peine l’enfant sorti, je partais nourrir les poules. Pas le temps de me reposer, le travail de la ferme n’attend pas et il puis, il faut s’occuper des autres, un enfant, ca s’éduque. Maintenant les parents ne prennent plus le temps d’éduquer des enfants et tu sais ce que ca fait Lolita ? Je vais te le dire moi. De la mauvaise graine. » Au ton employé, ce devait être la pire injure qu’elle pouvait prononcer.

- Oui Anna » répondit Lolita distraitement.

« Enfin, ils ont bien grandi maintenant. Ils se sont mariés, ont eu des enfants à leur tour. J’ai même deux arrières petites enfants. Et ils sont partis, attirés par les lumières de la ville. Paul est vétérinaire » dit-elle en montrant un visage souriant d’une dizaine d’année avec une coupe afro. « C’est le seul qui est resté dans le coin. Il vient de temps en temps s’occuper des vaches mais il a beaucoup de travail. C’est bien, ca veut dire que les affaires marchent. »

Je compris à son ton mélancolique que c’était l’excuse qu’il lui donnait pour éviter les visites.

« Marie aussi est une brave fille. Se sont tous de braves petits. Victor aussi aurait pu être un brave gars, il était intelligent et vif. Vous auriez vu comme il montait aux arbres.

- Que lui est-il arrivé ?

- Il a disparu un jour quand il avait quinze ans. Il m’a fallu dix ans avant d’admettre qu’il était mort.

Aïe, j’avais abordé le sujet qui fâche. Je n’avais pas envie de lancer la vieille sur le terrain des lamentations mais j’imaginai mal comment y couper sans paraître grossier « Je suis désolé, perdre un enfant, ce doit être affreux. »

Lolita soupira. « Anna, il n’est pas mort, je l’ai encore vu pas plus tard que ce matin. Il m’a sorti du lit. » La vieille se renfrogna et posa durement le cadre sur la table en bois.

« Il est mort je te dis.

- Ecoute Anna, Darkness est…

- Tatata, je ne veux pas le savoir. Tous mes enfants sont de bons petits gars que j’ai bien élevé. Tu sais, ici, c’est pas facile tous les jours. Parfois, il y a des mauvaises années et il faut se serrer la ceinture. Mais ce n’est pas grave. Ce n’est qu’un passage. L’important, c’est qu’un jour, j’en aurais fini de cette vie sur Terre, et je pourrais me présenter devant notre Seigneur, lui tendre les bras et lui dire, je ne suis que ton humble servante, je n’ai pas fait de grandes choses de ma vie mais je me suis efforcée d’être bonne et honnête en suivant les commandements de Dieu. Voila l’important.

- Oui Anna.

- Celui qui tu appelles Darkness, c’est pas mon fils. Mes enfants, ce sont de bons petits gars. Je les ai bien élevés. Victor est parti est il est mort. Et c’est leurs fautes. » Elle se releva et se dirigea vers le buffet en sortit quelques enveloppes qu’elle donna à Lolita. « Tu ne les as pas ouverte » dit-elle.

« Les morts ne doivent pas envoyer de courier. Tu lui diras pour moi.

- Ce n’est pas sa faute Anna.

- Qu’est ce que tu es venue faire Lolita ?

- Quelques vérifications, je te l’ai dis.

- Pourquoi ?

- Comme ça.

- Je vais te le dire pourquoi. Parce que tu te méfies de lui. Voila tout. Et tu as raison. Moi aussi je crains les fantômes qui rodent. Je surveille tu sais

- Il n’est jamais venu ?

- Si, une fois mais je l’ai chassé à coup de fusils.

- Ton fusil n’est même pas armé.

- Bien sur que non, je ne veux pas arriver devant mon Seigneur le jour du jugement dernier avec du sang sur les mains. »

Lolita regarde les flammes. Le silence se fait.

« Je ne dis pas ça pour toi Lolita, tu es une brave fille. Dieu m’en est témoin.

- Il a rajouté quelque chose ?

- Je ne sais pas, peut-être. J’ai vu qu’il y avait touché. J’ai voulu te prévenir mais je ne savais pas où te trouver. Tu devrais me laisser une adresse quelque chose.

- Je bouge beaucoup.

- Oui, je vois.

- J’étais garde du corps.

La veille fronce les sourcils « garde du corps. Que voila un bien vilain métier pour une jeune fille convenable.

- Oui je sais, une jeune fille doit trouver un homme bon, se marier et avoir des enfants.

- C’est vrai. Cela dit, ma fille est coiffeuse, c’est bien aussi.

Allez, au lit. Je suis trop vieille pour veiller ainsi. Lolita, tu prendras la chambre de Marie et vous jeune homme, celle d’Arthur. Je ne vois pas d’alliance, donc je suppose que vous n’avez pas encore scellé votre union devant notre Seigneur monsieur…

Je crois que je suis devenu tout rouge. Elle devait penser qu’on était ensemble. Je n’ai même par réussi à la détromper, c’est Lolita qui est intervenue avant que je révèle la fausse identité que Lolita l’avait concoctée:

- Witches Anna. Il s’appelle Tony Witches.

- Witches, je n’aime pas trop ce nom là.

- C’est celui de mon père madame.

- Pas très honnête quand même. Bref, je vous montre votre chambre monsieur Witches, Lolita, tu connais le chemin.

- Voila » dit-elle en ouvrant une porte. C’est simple mais il faut dire que mes enfants ne viennent plus souvent. Un temps, c’était couvert de jeux d’enfant ici. Maintenant… Enfin, c’est la vie. Vous avez la salle de bain là.

Vous êtes sur que Witches est le nom de votre père ?

- Oui, pourquoi demandez-vous ça ?

- Et de votre grand-père avant ?

- Oui, bien sur. » Je n’avais pas connu mon grand-père mais elle m’agaçait celle-là.

Elle me mit la main sur l’épaule. « Faites attention jeune homme, Lolita est une brave fille, mais il ne faut pas tomber amoureux d’elle. Vous seriez malheureux et elle aussi. » dit-elle en sortant.

J’ai mieux compris le lendemain. Je me suis levé tôt. Ou du moins ce qui pour moi est tôt mais la vieille femme était debout bien avant le lever du soleil. Je pris mon petit déjeuner avec elle d’œufs frais du matin, d’une tranche de lard et de pains un peu rassis. Ainsi attablé dans la cuisine chauffée uniquement par une antique cuisinière au bois, elle me raconta l’histoire de sa vie et je compris que la vieille Anna avait perdu la tête à la suite de la disparition de son fils. Elle avait découvert et révélé selon ses dires, la vérité. Elle n’a pas expliqué ce qu’était cette vérité mais elle avait fini par passer quelques années en hôpital psychiatrique. Elle ne me paraissait pas encore tout à fait guérie, persuadé que son fils était mort et que son fantôme rodait lors des nuits sans lune engouffrant les ténèbres sous son grand manteau noir. Oui, elle était bien dérangée. Lolita est arrivée pendant son discours. Sans cérémonie, elle a mis de l’eau à chauffer et s’est assise à mes côtés l’écoutant toujours calme et sereine répondant « oui Anna » à toutes ses élucubrations.

Quand je lui ai dit qu’il serait peut-être tant de partir, elle m’a dit que rien ne pressait, que personne ne viendrait nous chercher ici.

Je la croyais volontiers. Pour autant, même si la vieille était gentille, je me voyais mal supporter longtemps ses courants d’air, ses histoires de fantômes, ni le tic tac incessant du vieux coucou « Mais elle est complètement folle. » ai-je fait remarquer à Lolita tandis qu’elle me faisait faire le tour de la ferme pour prendre l’air. Si tant est soit peu qu’on peu prendre l’air au milieu d’effluves de bouses.

- Elle a son age

- C’est vraiment la mère du type qui nous a agressé à l’hôtel ? »

Elle n’a pas aimé que j’emploie le qualificatif « agresser ». je l’ai bien vu à sa tête. Pourtant, il faut appeler les choses par leur nom. Il l’a insulté et m’a arraché des cheveux.

Elle m’a contenté de dire que c’était bien sa mère.

« Que s’est-il passé exactement ?

Difficile à dire. Il a fugué je crois avec quelques copains. Ensuite il a été mis pour mort. Ce fut très dur pour Anna mais elle a fini par faire son deuil. Ensuite, quand elle a appris qu’il était vivant, je pense que paradoxalement, elle ne l’a pas supporté. Peut-être qu’elle avait tant souffert qu’elle craignait si elle le retrouvait de risquer de le perdre à nouveau. »

Typiquement du Lolita ça. A force de lire la rubrique des psy de toutes les presses féminines qu’elle laissait ensuite traîner partout dans la baraque, elle en venait à sortir des spéculations à deux balles.

« Tu lis trop de journaux féminin toi. C’est une ordure ce type voila tout.

- Oui, c’est vrai. C’est peut-être aussi ça le problème. Mais j’ai confiance en lui. Il n’a pas eu le choix. Allez, on s’en va. J’ai encore quelqu’un à voir. Je pense que je n’en ai plus pour longtemps. La cavale, ça va un temps et c’est fatigant, mais j’ai un truc à faire. Un coup de pouce à une amie.

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